Solène Chan-Lam

Rencontre avec Solène Chan-Lam, Lead Texture Artist chez Weta Digital

3DVF : Quel est le projet le plus complexe que tu puisses imaginer, et pourquoi ?

Solène Chan-Lam : Quand le matériau voulu n’existe pas dans le monde réel, c’est toujours un défi. Un matériau futuriste serait une bonne étude de cas. Dans un cas comme celui-ci, il n’y a pas de référence qui puisse servir de cible. Texturer sans références est toujours un chemin dangereux, il y a un risque élevé de re-takes constantes et frustrantes, avec potentiellement une vision très différente de celle du département lookdev – et un client insatisfait.

Le travail sur les créatures est complexe également. C’est un travail au cas par cas, donc très chronophage. Si la créature a plusieurs couches de tissus profonds, de la transparence, des veines et du dessèchement, de la saleté, des taches, du sculpt par-dessus et non mais seulement une mais beaucoup (trop) de références sur lesquelles la direction n’a pas su se décider – il est alors certain qu’il faudra beaucoup de réflexion, de travail préparatoire et une bonne compréhension du lookdev. Mais aussi de la recherche scientifique et structurelle. Ce genre d’asset est très complexe et nécessite de l’expérience ; j’en a eu quelques-uns dans ma carrière.

D’autres cas complexes nécessitent de fractionner le workflow de texturing en un process non intuitif pour obtenir le meilleur résultat possible et texturer étape par étape. Ce qui peut être un défi même pour les artistes expérimentés. Ces approches sont utiles quand un processus de texturing classique ne colle pas aux spécificités de l’asset.

J’aime penser que je n’ai pas encore fait face aux assets les plus complexes, étant donné que chaque nouvel asset est une nouvelle problématique à gérer. Ce qui signifie que l’asset ou le projet le plus complexe sera toujours le suivant – si, bien entendu, l’objectif est la perfection.

Solène Chan-Lam

3DVF : Tu es également passionnée par les techniques traditionnelles comme le dessin et la peinture à l’huile. Les approches traditionnelles et numériques se complètent-elles ?

Tout à fait, en parallèle de mon travail je crée des illustrations digitales et je pratique la peinture à l’huile. L’an dernier j’ai collaboré avec Odelie Chan sur sa collection de bijoux « Signs ». Et j’ai actuellement des projets illustratifs en développement pour des livres pour enfants.
Les activités traditionnelles et numériques se complètent. J’expérimente techniquement et artistiquement. Ce que j’apprends pour l’un me sert pour l’autre. D’une manière générale, cela entraîne mon oeil. J’ai toujours été influencée par les peintres traditionnels. Depuis mes études, j’explore la science et la théorie de la couleur. A ce sujet, les travaux et recherches de Paul Klee et Odilon Redon ont profondément marqué mon art.
Savez-vous qu’un gris moyen entouré de jaune est perçu par l’oeil comme une couleur plus proche du violet, complémentaire du jaune ? Saviez-vous qu’il y a 7 types de contrastes ? Faire attention à l’interprétation de la couleur aide à équilibrer le travail de texturing, à faire passer le ressenti général d’une référence sur la texture d’un asset 3D. A un certain niveau, les détails sont importants.
Inversement, les détails organiques que j’ai observés en 3D réaliste sont quelque chose que j’ai intérêt à amener dans mon travail d’illustration, pour donner plus de complexité et un côté plus matériel, même si mes projets d’illustration sont stylisés.
C’est génial comme ces expériences résonnent entre elles et en moi.

Solène Chan-Lam
Solène Chan-Lam lors du jury Institut Artline 2018.

3DVF : A côté de ton travail en tant qu’artiste, tu enseignes depuis 3 ans le texturing chez Institut Artline. Pourquoi cet intérêt pour l’enseignement et la formation de nouveaux artistes ?

J’adore découvrir de nouvelles personnalités et de nouveaux potentiels. J’aime voir si mon jugement à leurs débuts correspond à leur progression de carrière effective. Mentorer de nouveaux talents est quelque peu similaire à la pédagogie lorsque je forme des professionnels dans le cadre du travail. Cela m’apprend beaucoup sur la manière dont je partage mes connaissances et mon expérience avec les étudiants comme au sein des studios, sur des projets professionnels. En posant des questions spécifiques sur des points que je pensais évidents, les étudiants m’aident à avoir une bonne compréhension des questions que les personnes en milieu professionnel peuvent avoir, et vice-versa.
J’aime voir les personnalités individuelles des étudiants, d’autant qu’être un artiste c’est être capable de travailler avec d’autres. Je vois en particulier les artistes junior humbles qui débutent avec peu de connaissances progresser plus vite que les autres.
Depuis que j’enseigne, j’ai découvert que c’est quelque chose de naturel pour moi, j’aime partager ma passion avec humour – ma touche personnelle. J’aime voir les étudiants interagir et s’entraider.
Enseigner est versatile. La plupart des cursus scolaires sont centrés sur l’enseignement des logiciels. Personnellement, je pense que ce sont les méthodes et l’expérience en studio qui sont les plus importantes, car c’est quelque chose qu’on ne peut pas trouver sur internet et apprendre par soi-même, en opposition à l’apprentissage d’outils que l’on doit maintenir tout au long de sa carrière quoiqu’il en soit. Dans des productions à petite échelle et en dehors des deadlines du monde professionnel, il est difficile pour les étudiants de réaliser que chaque action a son importance dans les productions réelles – par exemple, si une action est répétée – faire en sorte de l’automatiser. Ce qui importe, ce n’est pas à quel point un artiste maîtrise un logiciel, mais comment il choisir de procéder pour obtenir qualité, efficacité, avoir des fichiers propres et faciles à partager, et comment il entraîne son oeil.

Solène Chan-Lam

3DVF : Les femmes sont encore minoritaires dans l’industrie VFX. Que penses-tu de cette situation, et dirais-tu que ta carrière est un exemple classique ?

La diversité dans les VFX s’améliore lentement. Les écoles 3D et entreprises attirent davantage de femmes que par le passé. Les femmes restent cependant une minorité dans les studios et tous les studios n’y prêtent pas la même attention.
Je pense que le secteur 3D pourrait vraiment bénéficier d’une plus grande variété de profils.

Je ne dirais pas que je suis un exemple classique. Les femmes sont surtout présentes dans les départements production, d’autres sont artistes, elles ne représentent tout de même qu’un faible pourcentage des effectifs, et très peu occupent des postes de lead ou supervision. Lors de mes expériences passées, j’ai vu les femmes être jugées sur leurs performances, les hommes sur leurs compétences. Les performances impliquent endurance et constance, les aptitudes sont remises à zéro à chaque nouveau défi et il faut faire ses preuves, prouver sa fiabilité dans le temps. Tandis que les compétences sont jugées à l’embauche et sur les premiers projets, et ne sont pas forcément remises en cause quand les défis surviennent.

Il y a encore une bonne marge de progression dans l’industrie VFX d’une manière générale ; si ma carrière peut inspirer d’autres femmes, j’en serais ravie.

3DVF : Au cours des derniers mois, quels films t’ont marquée par la qualité de leur travail de texturing ?

Le dernier projet de ce type, étonnamment, est une série. J’ai été sidérée par le personnage de Pogo, le singe de la série Netflix Umbrella Academy. Je n’avais aucune idée du studio en charge. Textures, lookdev, modélisation, facial shapes, animation, et plus ou moins chaque détail : j’étais impressionnée par le niveau de qualité et il semblait venir d’un studio de spécialistes, plus que d’un petit studio de généralistes. Plus tard, j’ai appris que Weta Digital avait créé le personnage.

3DVF : Tu as justement récemment rejoint les équipes de Weta Digital : peux-tu nous parler de ton travail au sein du studio ?

J’aime vraiment beaucoup mon expérience chez Weta. Je ne peux pas donner trop de détails sur mon travail au sein du studio. Mais venez, j’encourage quiconque à postuler et à en faire l’expérience. Le pays est vraiment unique et les gens très amicaux. C’est passionnant de travailler avec des gens des quatre coins du monde sur des projets de grande ampleur. Pour quelqu’un souhaitant apprendre aux côtés d’artistes seniors expérimentés, Weta est un lieu de travail excellent.
Tout le monde en Nouvelle-Zélande connaît Weta, même les personnes hors du milieu VFX. En visitant le pays, on sent l’atmosphère du Seigneur des Anneaux. La ville de Wellington, la Weta Cave [NDLR : musée et boutique autour des créations de Weta Workshop], les aéroports d’Auckland et Wellington sont peuplés de sculptures offertes par Weta Workshop. Il y a de l’inspiration à chaque coin de rue.

Pour en savoir plus

Artistes, studios, éditeurs de logiciels… N’hésitez pas à nous contacter pour nous présenter vos projets et travaux : contact@3dvf.com

Solène Chan-Lam

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