Klaus

Klaus : les coulisses d’un film d’animation hors du commun

Netflix, porteur du projet

3DVF : Quel était le budget du film ?

Les Films du Poisson Rouge : De l’ordre de 45 millions d’euros. Un projet ambitieux, donc.

3DVF : Netflix a porté le projet : est-ce que leur implication a changé vos méthodes de travail ?

Pas du tout. Comme nous étions en discussions avec SPA Studios avant l’arrivée de Netflix, ça n’a rien changé, et le seul contact que nous avons eu avec eux a porté sur les crédits d’impôts. Il n’y a par exemple pas eu de contraintes supplémentaires sur nos échanges de données avec SPA Studios.

De ce que Sergio Pablos nous a indiqué et évoque publiquement, Netflix lui a laissé une grande liberté, même si bien entendu il y a eu des échanges très réguliers pour suivre l’avancée du projet. En revanche nous savons que sortir le projet en 4K et non 2K a été imposé par Netflix.

3DVF : Netflix reste généralement discret sur ses audiences : avez-vous eu des chiffres concernant Klaus, et en particulier sur le nombre de vues le premier week-end, quand le film était accessible aux non-abonnés dans certains pays ?

Non, nous n’avons pas eu d’informations.

[NDLR : depuis cette interview, Netflix a annoncé avoir cumulé près de 30 millions de vues durant le premier mois de mise à disposition du film sur sa plateforme]

Les Films du Poisson Rouge, après Klaus

3DVF : Au final, quel regard portez-vous sur cette aventure ?

Anaël Seghezzi : Une très bonne expérience, pas de mauvaises surprises et un fonctionnement très naturel. Il était notamment très agréable de travailler avec Marcin Jakubowski, qui comprend à la fois l’artistique et la technique.
Inversement, alors que tout était bien cadré pour la lighting, nous avons bénéficié d’une grande confiance sur le texturing.

Catherine Esteves : pour avoir travaillé avec des anciens de Disney France, j’ai retrouvé dans l’organisation de Klaus, en amont, une vraie réflexion : tout était posé, cadré, la moindre question avait été posée pour éviter les surprises. Comme le dit Anaël, Marcin avait vraiment fait un travail énorme.
Ce temps de préparation, que l’on peut retrouver dans une culture Disney, est souvent absent des productions françaises. Nous avons vraiment trouvé sur ce projet une culture très anglo-saxonne : on sait ce qu’on veut, on sait faire telle partie et pas telle autre, on identifie les personnes compétentes et on les laisse travailler.

Evidemment il s’agit de notre ressenti ; du côté de SPA Studios, les délais ont été assez serrés et il fallait sortir le film pour Noël, ce qui créait une certaine pression. Au final, le film a été finalisé mi octobre environ, pour une sortie mi novembre.

3DVF : Quelles ont été les retombées de la sortie du film, pour le studio ?

Nous remarqué que le nombre de vues sur notre vidéo des outils a explosé en deux ou trois jours, avec plus de 160 000 vues. Le film a eu un très gros écho sur les réseaux sociaux, notamment grâce à Netflix qui a fait des campagnes de publicité physiques dans certains pays (Italie, Afrique du Sud…) mais aussi grâce aux artistes qui ont partagé des aperçus de leur travail.

Plus largement, c’est vraiment agréable d’avoir une reconnaissance, après avoir travaillé des années, notamment, sur des pilotes qui n’ont pas toujours débouché sur des projets concrets.

3DVF : Si un studio, réalisateur de court-métrage ou autre est intéressé par vos outils, quelle est la marche à suivre ?

Le mieux est de nous contacter directement. Nous ne vendons et ne louons pas les outils, mais on peut rentrer en coproduction ou passer par de la prestation.
Notre parti pris est clair : nous nous laissons le choix de participer ou non à tel ou tel projet, selon qu’il nous inspire ou pas. Nous restons souples : comme sur Klaus, l’idée n’est pas de forcer un projet à être fait chez nous à 100%. On peut très bien délocaliser une équipe, louer les logiciels pour un projet précis… Il nous est même arrivé de prêter les outils sans les louer, y compris auprès d’étudiants.
Les choses se passent vraiment au cas par cas.

La bande démo 2019 des Films du Poisson Rouge

3DVF : Quel avenir pour vos outils ?

Anaël Seghezzi : du côté logiciel, Houdoo (qui est finalement l’outil le plus puissant de ceux que nous développons) va évoluer suite à Josep. L’intervallage est déjà très puissant mais avec de la R&D, il devrait être possible d’améliorer encore les résultats, même si les problématiques en jeu sont très complexes.

Catherine Esteves : une autre envie serait de pouvoir faire de l’animation directement sous Houdoo, et pas juste l’intervallage.

Anaël Seghezzi : Voilà, actuellement le rough est fait sous TVPaint, Toon Boom ou autre, Houdoo sert pour le clean et la génération des intervalles. L’idée serait par exemple de faire du rough sous Houdoo, ou directement du clean.

Catherine Esteves : Encore beaucoup de choses à faire… Et Anaël ne manque jamais d’idées !

3DVF : Pour la R&D, regardez-vous ce qui se passe du côté des nouveaux outils qui sortent sur le marché, par exemple du côté de Praxinos ?

Anaël Seghezzi : Non, je vais plutôt lire des publications scientifiques, et le plus souvent de chercheurs ou laboratoires que je connais et que je suis de près. Par exemple l’équipe Maverick de l’Inria.

3DVF : Quelle est votre vision du « marché » de l’animation 2D ?

Il y a clairement un retour qui s’opère, et nous en sommes ravis. On le voit aussi chez les jeunes dans les écoles d’animation, beaucoup d’artistes changent de voie et se rapprochent de la 2D.
On est sortis de la génération qui pensait que la 3D était un style en soi, elle est désormais considérée comme un simple outil ; l’évolution des mentalités ouvre des portes. Cela renvoie aussi à la conférence de Virginie Guilminot aux RADI-RAF : finalement, à quoi bon pousser les outils 3D si c’est pour se contenter de reproduire le réel ?

Il est intéressant aussi de voir que des techniques totalement différentes convergent vers des approches artistiques qui ne sont pas si éloignées : Spider-Man : Into the Spider-Verse avec sa 3D qui tend à imiter la 2D, Klaus avec sa 2D travaillée au point d’évoquer la 3D. Il y a une fusion des approches.

En termes de marché, et peut-être du fait de notre facette développement d’outils, nous sommes beaucoup consultés sur des projets très spécifiques, avec un défi technologique ou artistique important. Il nous semble qu’il y a de plus en plus de projets hybrides.
Il semble y avoir une scission entre d’une part les studios qui continuent de faire du volume (et c’est tant mieux !), par exemple sur de la série, avec des pipelines quasi coulés dans le marbre et dont on ne sort pas, ce qui a une incidence sur les styles artistiques et tend à les uniformiser, et d’autre part des projets plus atypiques, des essais et des réflexions sur la modification des outils, un bouillonnement. Mais plutôt sur des formats comme le court et le long, la série étant plus industrialisée.
Le temps réel se développe mais manifestement surtout pour réduire les coûts et délais, malheureusement pas ou pas trop pour améliorer le confort de travail.

Cette évolution du marché est en tous cas positive pour nous : les projets spécifiques, singuliers et avec des défis nous conviennent parfaitement.

3DVF : Quelles évolutions peut-on attendre des Films du Poisson Rouge à l’avenir ?

Catherine Esteves : En termes de studio, il s’agira notamment, au cas par cas, de continuer à développer des outils rendant possibles certains projets atypiques, mais aussi de travailler au confort des équipes : là où Klaus s’est passé sans encombre, un projet comme Josep, où tout a été fait sous Houdoo avec un petit budget, a été plus compliqué à mener à terme. Ici, Anaël était encore très impliqué dans le développement de l’outil, mais pour le confort des artistes plus que pour l’efficacité pure.

Pour le reste, notre vision n’est pas de distinguer film d’auteur, film expérimental, film de divertissement. Il s’agit toujours de cinéma, et nous souhaitons avoir la liberté de pouvoir travailler sur tous types de projets.
C’est d’ailleurs dans cette optique que j’ai monté le studio : sortir des schémas de fabrication et cultures d’entreprises d’autres studios que j’ai pu connaître, avoir la capacité de faire ce qu’on aime. Ce n’est pas facile tous les ans mais on y arrive !

Dans ce cadre, Klaus est une chance inouïe qui nous a mis en lumière. Il n’est pas toujours évident de convaincre les financeurs ou les jury de bourses qu’une entité comme Les Films du Poisson Rouges a les épaules nécessaires pour porter un film, avec ses outils peu connus. Même si nous avions déjà une bonne crédibilité avec des projets comme Josep, qui s’appuie sur nos logiciels, on espère qu’avoir travaillé sur un film comme Klaus nous amènera d’autres projets, ou de porter nous-mêmes des projets.

3DVF : Dernière question : quels sont les prochains projets à découvrir et dans lesquels vous êtes impliqués ?

Josep sortira en 2020, un long-métrage qui évoque la retirada, l’exode de réfugiés suite à la guerre civile espagnole. Le message politique et artistique est d’autant plus fort qu’il s’agit du film d’un dessinateur centré sur un dessinateur. C’est un film à petit budget dont nous sommes producteurs, producteurs exécutifs et entièrement fait avec nos outils. 


Nous avons aussi en interne un projet de long-métrage qui est à l’écriture, deux séries en cours de développement pour adolescents et adultes respectivement. Il est encore trop tôt pour en dire plus.
Enfin, nous travaillons évidemment toujours sur des projets extérieurs, notamment sur des pilotes.

Nous espérons évidemment pouvoir collaborer à nouveau avec SPA Studios, et nous recevons également beaucoup de mails ces derniers temps !

Pour en savoir plus

– Le site des Films du Poisson Rouge ;
– Le site de SPA Studios ;
Klaus est à découvrir sur Netflix.

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