Circus

Croissance, série LEGO, futur long-métrage animé : les secrets du studio Circus

Télétravail, ressources humaines et philosophie du studio Circus

3DVF : Sur le télétravail, justement : y a-t-il eu des questionnements ou contraintes de vos partenaires/clients sur la sécurité des données, que ce soit en série ou long-métrage ?

Nos contrats engagent évidemment dès le départ d’un projet notre propre responsabilité, et nos partenaires ont continué à nous faire confiance sans nous poser de questions particulières.

Nous avons par contre, en interne, pris les choses en main et sensibilisé les équipes. Elles le sont en fait déjà, puisque des NDA [NDLR : non-disclosure agreement, accord de confidentialité] étaient en place sur la série LEGO ainsi que sur Around The World.

La question qui se posait était donc plutôt la sécurité des données. Sur ce point, la problématique change d’une scène à l’autre : si on pilote depuis chez soi un ordinateur du studio, les données ne quittent pas les locaux. En revanche lorsqu’il faut animer des scènes très lourdes, il faut en effet que l’artiste puisse travailler avec les données en local.

Dans tous les cas, le télétravail implique forcément une confiance envers les équipes.

Pour le reste, la partie technique, notre équipe IT a tout fait pour protéger, sécuriser et sauvegarder ce qui devait l’être, même s’il l’on peut toujours améliorer les choses. Par exemple, nous utilisions TeamViewer lors du premier confinement, en cas de nouveau confinement nous basculerons sur un VPN.

Une petite partie de l’équipe Circus

3DVF : Globalement, on a le sentiment que l’industrie dans son ensemble a été forcée de faire davantage confiance à ses équipes, y compris sur des secteurs très sensibles comme les VFX de blockbusters. Et pourtant, on n’a pas fait face à des fuites catastrophiques…

C’est vrai, et il faut voir également que le maillon faible en termes de sécurité n’est pas forcément du côté fabrication. Par exemple, des outils comme Shotgun permettent de filtrer les IPs afin d’éviter des intrusions, mais les premiers à ne pas vouloir mettre en place ces mesures sont justement les réalisateurs et producteurs, qui ne pourraient plus accéder aux données d’où ils veulent, sur leur smartphone et en déplacement.

3DVF : Evoquons la gestion des équipes. Quelle est votre approche à ce niveau ?

On a la chance d’avoir des gens très talentueux, avec une bonne osmose et un développement de carrière en interne important. On n’aime pas trop l’aspect « mercenariat », avec des gens qui vont et viennent, on préfère fidéliser les équipes. Ca permet de mieux comprendre les gens, d’aller plus vite, plus loin.

La structure de production fait partie des choses qui ont évolué ces dernières années, avec la croissance l’équipe dirigeante ne pouvait plus tout gérer, il nous a fallu apprendre à déléguer. L’idée de la prod chez nous, c’est de mettre de l’huile dans les rouages, de fluidifier la communication, parfois aussi de servir d’interface entre les graphistes et le client car les retours peuvent être assez brutaux, avoir cette couche supplémentaire peut adoucir les échanges.

3DVF : Y a-t-il une certaine mobilité interne, ou une diversité des projets qui permette aux artistes de se renouveler ?

C’était surtout le cas en pub, où les projets s’enchaînaient, mais en série par exemple il s’agit davantage d’une course d’endurance, il y a donc plus de routine. En revanche on a des gens qui sont passés de Lego à Around The World, il y a donc des vases communicants. C’est le cas de certains junior qui ont profité de la série pour se développer, prendre en compétences. Et cela fait partie de notre volonté de fidélisation.

On essaie aussi de faire des audits (sous forme de rendez-vous individuels) pendant l’année, de savoir ce que veulent faire les équipes, cela donne parfois des surprises : tel artiste qui faisait de l’animation 2D sans qu’on le sache, des personnes qui passent de préviz à layout, création d’assets… Ou par exemple des personnes qui étaient en lighting/rendu/compo sur Around The World et qui sont passés en VFX depuis.
C’est positif pour tout le monde, les artistes s’épanouissent et nous avons une vision plus globale des équipes.
Pour que cette approche fonctionne il faut donc écouter, former en interne, mais aussi ne pas exploser : le studio a certes grandi mais on peut encore être proche des artistes, ce qui n’est pas le cas dans un studio massif.

On reste donc dans une optique de collaboration avec d’autres studios, superviser, être supervisé, changer de rôle d’un projet à l’autre… D’autant que c’est assez enrichissant.
Faire un studio de très grande taille n’est absolument pas notre objectif. Si on arrive à conserver nos valeurs tout en grandissant encore, pourquoi pas, mais ce n’est pas le but.

3DVF : Toujours en ce qui concerne les équipes, le confinement a sans doute été un gros défi…

Oui, clairement. Au niveau technique, nos équipes ont fait un travail formidable, et comme beaucoup de studios, on a pu rapidement s’adapter.
En revanche, la problématique majeure a été de savoir « comment Circus pouvait continuer d’exister en tant que structure », il a fallu mettre en place des process.

On a redéfini les secteurs de chacun, fixé le rôle des canaux de communication (le mail pour du précis, Slack pour du non officiel/de la discussion pour travailler au quotidien). On a aussi voulu structurer la journée pour que les mondes privés et professionnels ne se télescopent pas.

Concrètement, tout le monde démarrait à la même heure, et chaque équipe commençait par une visioconférence. L’idée était de garder du face à face malgré la situation, on a donc a conseillé aux équipes de ne pas mettre d’avatars (sauf souci de connexion) mais de rester en face cam.
Une autre réunion avait lieu le soir.
On s’est rendus compte que le temps de midi avait été oublié, et nous avons aussi fixé des horaires de pause (12h30-14h), ce qui permettait aux personnes du studio d’avoir des frontières précises, de pouvoir aller manger ou faire une sieste avec la certitude qu’on ne viendrait pas les déranger.

On pense que cette approche, cette régularité nous ont sauvés, car c’est vraiment une course de longue durée.

On a aussi donné quelques conseils pour renforcer cette séparation pro/perso, le simple fait de changer d’endroit chez soi, d’utiliser deux bureaux virtuels différents sur le PC, ça aide à faire une coupure.
On est même allés jusqu’à conseiller les équipes de ne pas oublier de bien manger, bien faire de l’activité physique ; ça fait un peu paternaliste mais comme la séparation pro/perso ne pouvait de toutes façons pas être totale, ça a sans doute été positif.

Autre point, les rapports. Un concept assez « scolaire » mais très utile. En présentiel, on sait en passant dans les bureaux si ça va ou pas, si les choses avancent bien, alors qu’à distance on ne peut plus prendre cette température auprès des équipes.
Du coup, pour des personnes comme les superviseurs, les postes de production, on leur a demandé chaque soir un compte-rendu sur un document facile à remplir. Pas quelque chose de poussé, ça leur prenait 5 à 20 minutes à remplir, nous pouvions le lire en 2 minutes. Et on se refaisait un point ensuite au sein de l’équipe dirigeante, avec le responsable de l’infrastructure également, et on éliminait les problèmes, par exemple un ralentissement réseau qui affectait une équipe.

C’est quelque chose de tellement efficace que l’on a conservé le système après le déconfinement, même les responsables en prod nous ont dit que cela les aidait à prendre un peu de recul, à faire le point.

On avait aussi mis en place un système de mesure de la productivité, en demandant aux gens ce qu’ils estimaient qu’ils avaient fait par rapport à ce qu’ils auraient pu faire sans les problèmes techniques liés au confinement.
C’était évidemment basé sur la confiance, l’idée n’était pas de juger les artistes mais d’aider les personnes isolées qui étaient en galère, et de mieux nous organiser, d’évaluer les retards pris. On a eu 25, 30% de retard sur les plannings initiaux, mais justement, mesurer ces retards au fur et à mesure a permis de dialoguer avec les clients, de réajuster les plannings en toute transparence, de les prévenir bien à l’avance. Et les clients ont bien compris les problématiques.

Around The World – Cottonwood Media / StudioCanal / France 3 Cinema / Umedia

Pour le second confinement, fin 2020, nous sommes restés en présentiel : techniquement, c’était compliqué de rester en télétravail entre la nécessité de retour interactif pour les animateurs, la pression du stylet pour les équipes de texturing, la colorimétrie pour les équipes de lighting et compositing, sans parler des problèmes de débit internet de chacun, et entre la difficulté psychologique du premier confinement, le fait qu’il y avait moins de monde dans les transports, le renforcement de nos pratiques sanitaires au sein du studio, ça nous a semblé préférable. Nous pensons que c’était le bon choix, on a pu garder un contact humain sans pour autant avoir de contagions en interne.

Pages suivantes : horaires, série Lego, long-métrage, avenir du studio.

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