The Division 2

The Division 2 : les coulisses d’une cinématique hors du commun avec Brunch Studio

3DVF : On retombe encore une fois sur l’idée d’un projet très dense, avec beaucoup de tâches à accomplir. Au niveau réalisation, comment vous êtes-vous réparti le travail au sein du trio ?

Brunch Studio : On s’est forcément marché un peu sur les pieds au début, c’est normal : 2 mois étant très court pour bien se connaître et travailler efficacement. Mais au début du projet on a su être efficaces sur la mise en place du projet, le découpage, etc.

Après, une fois rentrés dans le coeur de la production, chacun s’est surtout focalisé sur ce qu’il maîtrise : Olivier Lescot sur la partie 2D, Boddicker la partie 3D.

Il est d’ailleurs passionnant de constater que ce sont vraiment deux univers différents, que ce soit sur le plan artistique ou technique. Deux perceptions très différentes. La 3D est quelque chose de très abstrait, une sorte de boîte noire qui demande du temps, là où la 2D est plus spontanée et rapide dans sa mise en place. Ces deux philosophies font que sur le projet, la 2D a bousculé un peu la 3D et réciproquement, il y a eu des remises en question et chacun a exploré de nouveaux horizons, manifestement pour le meilleur au vu du résultat !

C’était une collaboration intéressante, et vu le succès du film on espère évidemment reproduire ça : le travail sera sans doute facilité pour les prochains projets communs.

3DVF : La séquence en noir et blanc (avec quelques touches de rouge) tranche assez nettement avec le reste au niveau artistique : ultra grand angle, effets de motion blur/smearing 2D… Comment avez-vous géré cette partie du film ?

En fait, nous voulions avoir une rupture en 2D dans le film, autour du mystérieux personnage de Kajika : à son sujet, nous avons d’ailleurs hésité à le montrer ou non dans la partie 3D, peut-être juste l’entrevoir par des jeux d’ombre. Au final il est essentiellement suggéré, et dès qu’on le voit, on passe à la scène 2D.

Par ailleurs, cette séquence étant un assassinat, nous étions très limités (au niveau juridique, commercial) sur ce qu’il était possible de montrer d’explicite. La 2D était un bon moyen narratif de mettre en scène quelque chose de brutal et pêchu sans trop se faire censurer. Au final on ne sait pas trop si le passage est réel, factuel, ou si le personnage s’imagine ce qu’il fera une fois qu’il aura obtenu l’information voulue.

Evidemment, c’était aussi une excellente occasion de tirer parti des compétences d’Olivier Lescot, on savait qu’il produirait quelque chose de très réussi.

3DVF : Techniquement, quels outils avez-vous utilisés pour la séquence ?

L’animation s’est faite sous TV Paint.

3DVF : Toujours au niveau technique, avez-vous eu des problèmes ou défis lors du rendu des scènes 3D ?

Non, tout s’est vraiment bien passé et heureusement : quand il faut ressortir 60 plans finalisés en 3 jours, il vaut mieux que le rendu soit rapide !

Ceci dit, c’est vrai que c’est trompeur : même si le rendu est très graphique/stylisé, contrairement à ce qu’on pourrait penser il faut rendre à des résolutions suffisamment élevées pour éviter certains soucis visuels, par exemple du scintillement ou de l’aliasing causé par des lignes droites ou liserés. Même si on a rendu un projet en HD, on a presque travaillé en 4K, afin d’avoir une bonne finition sur les personnages et éviter tous les problèmes.

Presque, car évidemment tout dépend des éléments et des besoins. Les décors, eux, étaient en 8K pour certains.

3DVF : Les retours sur le film ont été très positifs…

Oui, on a même eu des échos d’autres clients qui suivent régulièrement ce que l’on fait et qui nous ont félicité !

Du côté des joueurs, c’est passionnant, ils sont à l’affût du moindre détail, il faut d’ailleurs faire attention : un choix purement esthétique pourra donner lieu à des théories chez les fans, qui vont tenter d’imaginer des éléments de scénario… D’ailleurs il a été important pour nous de comprendre le jeu, de ne pas faire n’importe quoi. Ca met une certaine pression, aucun élément ne passe inaperçu !

3DVF : Au final, qu’est-ce qui vous rend les plus fiers sur ce projet ?

L’aspect narratif est vraiment réussi, une fois le film lancé on n’a pas envie de le couper. Musique, images, son, tout fonctionne bien.

Autre point positif, outre le client toute l’équipe est ravie d’avoir fait ce projet, et ça fait vraiment plaisir. Une fois qu’on est dans la production, c’est un peu comme une machine à laver : ça tourne, ça tourne, on a la peur de ne pas être à la hauteur et de ne pas avoir un beau rendu. Au final, on s’aperçoit que les choix faits la tête dans le guidon sont les bons, qu’on a tenu la route et que tout s’assemble parfaitement.

Dernier point, la collaboration 2D/3D était vraiment enrichissante. On retrouve des éléments de chacun dans le film, c’est une grande fierté.

4K et HFR : où en est-on ?

3DVF : Nous parlions un peu plus haut de définition : d’une manière plus globale, sur l’ensemble de vos projets, avez-vous beaucoup de demandes de 4K ?

Chez Ubisoft, ça arrive mais c’est lié à l’E3. Plus généralement, on a régulièrement des demandes de 4K/60 images par seconde mais qui sont souvent des specs posées sur le papier sans y avoir trop réfléchi, par exemple parce qu’un film est destiné à un projecteur vidéo gérant ces caractéristiques. Ce sont des specs qui viennent directement du jeu vidéo, pas du milieu de l’animation. A moins d’utiliser un moteur real time, il est difficile de pouvoir y répondre.

Il faut alors discuter, car il faut bien voir qu’avec les budgets et délais, exiger du 4K/60fps est délicat. La 4K n’a déjà rien d’évident, si en plus il faut du 60fps…

Un framerate élevé peut aussi poser des problèmes si on veut un résultat réaliste. Il faudra d’ailleurs voir comment évolue le cinéma à ce niveau, ce que donneront les prochaines productions HFR. Certes, quand on filme du live la question du réalisme des mouvements ne se pose pas trop, mais on a tout de même un résultat étrange à 60, 120 images par seconde. En imagerie 3D, c’est pire : on obtient la fluidité d’un jeu vidéo, qui va à l’encontre de ce qu’on essaie justement de faire, à savoir obtenir un rendu plus « cinématographique ». Il y a une sorte de contresens.

Aujourd’hui, ça n’est donc sans doute pas une bonne idée. Après, encore une fois, tout dépendra de l’avenir du cinéma : si le HFR devient la norme et que les gens s’y habituent, les références du public ne seront plus les mêmes.

Mais encore aujourd’hui, même au cinéma, peu de gros films hollywoodiens sont réellement post produit en 4K.

3DVF : Et même au-delà de la fluidité, l’animation pour du 120 images par seconde est un défi à part entière, on l’a bien vu avec Gemini Man dans lequel certaines scènes avec doublures numériques donnent une sensation étrange, comme si les mouvements ne fonctionnaient pas totalement…

En effet. Les gens ne mesurent sans doute pas totalement les enjeux techniques. Passer de la HD à 4K, ce n’est pas qu’une question de paramètre de rendu, il faut des assets et des textures adaptées, des temps de rendu démentiels, un compositing bien plus laborieux, on obtient quelque chose de très lourd, avec une inertie très lente.

Un framerate plus élevé, c’est un peu la même chose, il faut une renderfarm solide, un planning qui le permet.

Pour le moment, difficile de produire dans ces conditions sans recourir à des astuces de type upscale ou rendre dans un moteur real time. En fait, malgré sa mise en avant, la 4K reste encore un objectif difficilement envisageable dans bien des cas : si une serie a peu de besoins de postproduction et se limite à du montage et de l’étalonnage, ok, mais dès que les effets visuels se multiplient, ça devient ingérable.

3DVF : On a d’ailleurs pu le constater dans nos interviews et articles autour de projets pour Netflix, par exemple : le groupe semble assez compréhensif à ce niveau, et ses exigences s’adaptent au projet. Love, Death and Robots était a priori en HD, à l’inverse D-Seed nous avait parlé d’une postproduction 4K pour le film Io.

[NDLR : notre interview de D-Seed sur Io ; une conférence de Unit Image sur Love- Death and Robots est par ailleurs visible ici]

Oui, ça se voit d’ailleurs sur d’autres projets.

Plus globalement, on a parfois l’impression d’une certaine « arnaque à la 4K » sur certains projets : quand on regarde des contenus Youtube par exemple, la 4K s’apparente parfois à de la HD bien compressée, la HD classique étant plus ou moins la même chose mais avec une compression moins bonne.

Au-delà de la définition, la compression est sans doute un facteur tout aussi important.

3DVF : Et pourtant certains parlent déjà de 8K, avec de nouveaux téléviseurs adaptés ! C’est vrai. C’est un vaste sujet. Autant les très hautes définitions ont du sens en documentaire, autant pour le cinéma, en dehors de James Cameron, peu de cinéastes auront le luxe de faire du 8K/60fps dans le futur…

Ce qui est certain, c’est que la 4K demande déjà une démultiplication des budgets et délais : passer de HD à 4K, c’est vraiment 4 fois plus de travail. On ne peut pas demander ça pour un projet comme si c’était un détail, les clients voient parfois cet élément comme une sorte de logo qu’on peut appliquer à la fin « .

Bref, encore une fois, c’est une grande question, on verra ce que l’avenir nous réserve !

Outils et veille technologique

3DVF : Revenons sur vos outils. Vous vous appuyez sur Maya et Arnold. Quelle est votre vision actuelle de ces produits ? Regardez-vous la concurrence ?

C’est un vaste débat ! [rires] Il y a plusieurs niveaux : la tarification, la technique, le temps et la formation.

Il y a effectivement beaucoup de studios qui optent pour d’autres solutions, comme Blender. Il s’agit dans beaucoup de cas de studios orientés vers de la série, autrement dit des choses très précises : dans le cas d’une série, on sait quel sera le look, et donc ce qui permet sous Blender d’y arriver.

En ce qui nous concerne, on pourrait effectivement envisager un changement d’outil si on avait un type de style et format précis, le problème est que ce n’est justement pas le cas : on change tout à chaque projet.

Nous maîtrisons les points forts et faibles de Maya, et cela nous permet de relever nos défis techniques et artistiques. Passer sur Blender et retrouver la même fluidité de travail demanderait un effort inenvisageable sur des projets courts de 2 mois, là où une série permet d’avoir le temps de prendre en main un nouveau pipeline. C’est un obstacle d’autant plus grand que dans bien des cas, comme le projet évoqué ici, c’est précisément la maîtrise d’un pipeline fignolé aux petits oignons qui nous permet de finir dans les temps.

Après, si Ubisoft nous proposait par exemple de réaliser tout une série autour de The Division sur 2 ans, pourquoi pas, la question pourrait se poser.

Plus largement, chaque studio a ses spécificités : il faut faire de la veille technologique, garder en vue ce qui se fait ailleurs, bien faire attention à conserver quelque chose de cohérent avec ce qu’on produit, en particulier lors d’un changement d’outil : prévoir sur quel type de projet le changement sera bénéfique, sur quel autre type il posera problème.

3DVF : Et en ce qui concerne le rendu, qu’il s’agisse d’autres moteurs ou de l’approche temps réel ?

C’est quelque chose que l’on suit de près. Le temps réel est très intéressant mais son intérêt dépend fortement du type de projet. Les clients, producteurs peuvent avoir le sentiment que ça va accélérer fortement les projets mais il ne faut pas perdre de vue que la quantité de travail reste la même pour créer les assets et animations. Certes, on a une spontanéité en plus, par exemple on peut bouger les lumières rapidement, mais la prod n’en devient pas pour autant trois fois plus rapide ou gratuite.

Par ailleurs, le temps réel ne convient pas à tous les projets, or nous sommes dans l’optique d’avoir une boîte à outils qui conviendra à tout l’éventail de nos clients, pas juste à un ou deux projets.

Il faut sans doute garder en tête aussi que le rendu temps réel actuel est impressionnant -parce que- c’est du temps réel. Si on présente un projet sans rien dire, les gens seront dubitatifs, si on rajoute que c’est en temps réel ils sont soudain bien plus enthousiastes. Alors qu’au fond, on se fiche de savoir si c’est en temps réel ou pas, ce qui compte doit être l’image, pas la technique. Et donc par exemple, pour de la cinématique, quand un client vient nous voir, il attend vraiment ces 5% de plus, cette qualité d’image supérieure que le temps réel ne peut pas encore produire. Mais je pense que tout le monde s’est prit une bonne gifle avec les premières vidéos d’Unreal 5. Ca va forcément bouleverser notre industrie. 2021 risque d’être une année charnière dans la dans barrière entre le précalc et le temps réel.

Après, quand on voit ce qui se passe en production virtuelle, par exemple sur The Mandalorian, c’est très prometteur. On sait d’ailleurs que beaucoup de studios ont adopté Unreal Engine pour les VFX et expérimentent, tout ça va donc avancer rapidement.

Là encore, néanmoins, il ne faut pas négliger les coûts de développement, notamment pour les studios spécialisés en série animée.

Au-delà de ces questions techniques, il faut souligner que c’est un bonheur pour nous, à titre personnel, de varier régulièrement nos projets. Ca peut évidemment être une souffrance parfois, on a évidemment des difficultés que l’on aurait pas si on faisait toujours le même type de rendu, mais nous sommes ravis de pouvoir nous renouveler, de changer d’état d’esprit, de ne pas nous enfermer dans un style.

Crédits :
Client : Ubisoft
Directed by: Olivier Lescot & Boddicker
Character design: Olivier Lescot
Executive Producer: Emilie Walmsley
Line Producer: Fabien Cellier
Produced by Eddy
Animated at Brunch Studio
Sound Studio: AOC – Attention O Chiens
Post Production: Nightshift

Pour en savoir plus

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Brunch est en recherche permanente de nouveaux talents, et notamment des profils de type :
– Previz/layout artiste 3D middle / senior ;
– Character artiste 3D (modélisation / surfacing)  middle / senior ;
– Rigg & CFX artiste middle / senior.

Une page dédiée à l’emploi et à l’envoi de bandes démo/portfolios est présente sur le site de Brunch. N’hésitez pas à y faire un tour !

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