The Division 2

The Division 2 : les coulisses d’une cinématique hors du commun avec Brunch Studio

3DVF : Quelles contraintes aviez-vous en termes de délai, taille de l’équipe ?

Brunch Studio : Une quinzaine de personnes au maximum, et un délai très, très serré : deux mois ! Les premiers plannings étaient vertigineux, surtout avec l’arrivée de la grève des transports, Noël…

Ce fut un gros défi en termes de gestion de production, tous les jours bien vérifier, revisiter, re valider… Avec un tel délai, tout se fait en même temps et l’animation débute alors même que la modélisation du personnage n’est pas bouclée, et on optimise jusqu’à la fin.

Impossible de décaler les étapes, et tout devait être fini à temps : nous étions véritablement à la demi-journée près. Au final nous avons eu 70 plans à gérer, 17 personnages, quasiment autant de décors que de plans…

Notre chance est d’avoir un pipeline bien rodé, sans cela jamais nous n’aurions pu finir dans un tel délai.

Au final, 5 jours avant la fin du projet nous n’avions sorti qu’une dizaine de plans, tout est tombé dans la dernière ligne droite avec des animations finies le vendredi, des décors le samedi pour une livraison le lundi.

Heureusement tout était solide techniquement et l’équipe était excellente. Tout le monde est très content au final, et comme tout est sorti dans les derniers jours il y a eu un effet de surprise finale.

Il faut aussi remercier Ubisoft pour sa confiance, ils avaient eu quelques animations keyframe en amont puis nous ont vraiment fait confiance artistiquement, il y a eu peu de retakes. C’est un point important puisque Ubisoft San Francisco était impliqué dans le projet en plus d’Ubisoft France : avec le décalage horaire, les retours pouvaient mettre 3 jours à arriver, et entre temps nous avions énormément avancé.

Il y a évidemment tout de même eu des changements mais ils ont réussi à prioriser les retakes.

3DVF : Ce genre de délai pour une cinématique est-il classique, ou bien est-ce lié au fait qu’il s’agissait d’une extension, avec peut-être moins de temps ?

Plus ou moins, généralement nous avons plutôt 3 mois que 2. Evidemment, d’un point de vue artistique il est parfois frustrant de voir que des studios peuvent travailler sur des durées bien plus longues, de l’ordre de 6 ou 7 mois, alors même qu’ici notre projet était très dense en storytelling et en décors !

Evidemment, tout ça est une question de planning et donc de moyens.

3DVF : Au niveau technique, comment avez-vous mis en place l’esthétique du projet ? Ce type de rendu stylisé qui évoque en partie la 2D peut facilement dérailler et donner des résultats pas forcément à la hauteur des espérances initiales…

Nous ne cherchions pas forcément à avoir l’apparence d’un rendu 2D à tout prix : ça rajouterait des contraintes, et au fond, si le but est vraiment d’avoir un tel rendu, autant réellement travailler en 2D. Sinon, on tombe dans une lourdeur technique ingérable.

Nous nous sommes donc en effet inspirés de la 2D, mais la volonté était d’obtenir un rendu hybride : si l’animation trahissait la 3D, ce n’était pas un souci.

Nous aurions aimé expérimenter un peu plus, mais le planning serré ne nous a pas laissé trop de temps pour ça. Nous avons tout de même pu creuser de façon approfondie la question de la transposition des personnages dans ce style. C’est un point très délicat, car si techniquement l’approche « 2D-3D » est peut-être plus simple que de la 3D complète, artistiquement ça demande vraiment un gros travail, ça pose beaucoup de questions sur chaque plan.

Quoiqu’il en soit, nous sommes très satisfaits du résultat.

3DVF : quelques mots sur le texturing, notamment pour les visages ?

Nous avons utilisé Painter et Mari. Pour la suite, nous nous sommes vraiment fiés au designs d’Olivier Lescot. La question de la lumière a évidemment été importante dès le départ : d’un côté peindre complètement la lumière sur les visages est contraignant puisqu’il faut changer la texture à chaque plan, de l’autre se fier uniquement à l’éclairage du plan peut ne pas apporter assez de contrôle.

On a finalement opté pour un mix des deux approches : nous avons peint une partie des lumières et ombres sur les visages pour créer du relief, du détail, sans que ce soit handicapant pour la suite : faire une partie en éclairage direct.

Ce qui est difficile avec ce genre de technique, c’est qu’une grande part du travail se fait au compositing, là où un artiste préférerait avoir le résultat en amont, sous Maya. Le résultat est donc que l’on travaille un peu à l’aveugle en 3D, on sort beaucoup de passes techniques, on utilise de nombreuses lights, et tout ça va au compositing pour sculpter la lumière et les textures.

3DVF : Quel a été le rôle de Nightshift sur la finalisation de ces images ?

Brunch a fait le rendu/compositing, Nightshift l’étalonnage.

Il était important de s’assurer que les couleurs étaient bonnes et raccord d’un plan à l’autre. Et vu le délai très court, le mieux était de faire ça sur une station d’étalonnage dédiée, chez Nightshift, afin d’avoir un travail précis mais rapide.

3DVF : Revenons sur les décors, et notamment au début de la cinématique avec un enchaînement rapide dans New York. Comment avez-vous abordé cette partie du projet ?

Nous avons fait une petite préprod en amont avec les artistes 2D. Il faut bien voir que ce projet a un peu chamboulé nos habitudes, les artistes 2D et 3D n’ayant pas les mêmes approches pour un même plan, pas la même vision en termes d’environnements, de décors.

Nous avons notamment pu faire en amont des tests avec Meryl Franck, qui supervisait les décors. Elle nous a fait des still frames qui ont permis de poser une direction artistique, de savoir quelle dose de détails on pouvait se permettre, le temps que ça prenait… De quoi trouver le bon compromis entre la faisabilité en production et le fait d’arriver à quelque chose qui nous plaisait artistiquement.

A noter également, nous avons fait un layout 3D très poussé, avec tout l’environnement en 3D ; ça nous a permis, à l’arrivée des premiers décors finalisés, de faire du caméra mapping, de tester des réutilisations sur plusieurs plans. Cela pouvait par exemple se traduire par la présence d’un même bâtiment sur trois plans, par un assemblage d’éléments. Evidemment, il fallait arriver à donner aux artistes 2D l’image la plus parlante possible pour qu’ils puissent se projeter au mieux. Il est essentiel de bien collaborer sur cette étape, sous peine de repeindre le même décor plusieurs fois et de perdre beaucoup de temps.

3DVF : La cinématique est riche en FX : fumée, lance-flammes, tirs… Quelques mots à ce sujet ?

Dès le début, on savait qu’on allait le faire en 2D : connaissant le talent de notre équipe et ce que les artistes 2D ont sorti par le passé, il ne faisait aucun doute que le résultat serait à la hauteur, en particulier sur les lance-flammes. Un des avantages de travailler en 2D étant d’avoir une certaine spontanéité : ajouter des éléments va très vite, on peut dynamiser très rapidement un plan et avoir dès le départ le rythme voulu.

3DVF : Bien évidemment, qui dit FX dit sound design soigné…

Nous avons travaillé avec Attention O Chiens. C’est d’ailleurs une opportunité exceptionnelle : bien souvent sur ce type de projet le son est géré par le client, le studio d’animation ne touche absolument pas à cette partie.

Concrètement, nous avons pu dès le début du projet échanger avec Fabrice Smadja d’Attention O Chien, lui indiquer le style de musique que nous souhaitions, écouter différentes inspirations puis faire plusieurs versions, préciser l’ambiance des séquences… Ils nous ont aussi laissé beaucoup de choix pour les effets sonores dont celui du lance-flammes, ce qui est évidemment un travail intéressant même si ça demande du temps. Il y a aussi eu des altérations sur ces effets sonores, par exemple pour le lance-flammes un rugissement de tigre modifié est utilisé.

En termes d’organisation, la musique pouvait sans surprise se faire en parallèle de la fabrication à l’aide de l’animatique. En revanche, les bruitages nécessitaient les animations définitives pour bien placer précisément tirs et impacts à la frame près.

Dernier point : on a eu la chance de pouvoir travailler avec les acteurs voix du jeu, en visioconférence (nous ici sur Paris, eux chez Ubisoft à Toronto et Montréal). On les dirigeait d’ici, et même s’ils n’étaient pas familiers avec le script de la cinématique ils maîtrisaient leurs personnages et le jeu. Ca été très intéressant, une belle expérience !

Et dès qu’on a pu placer les voix dans le montage, ça a vraiment changé l’impact du projet.

Page suivante : suite et fin de l’interview avec répartition des tâches entre réalisateurs, séquence en noir et blanc, 4K, HFR…

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