Patrick Harboun
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Rencontre avec Patrick Harboun, asset supervisor : comment superviser à 8000km de distance ?

Avec l’éclatement de la crise liée au coronavirus, le télétravail est devenu une solution de choix pour poursuivre l’activité des studios. Nous avons déjà exploré cette approche avec une interview de TeamTO, mais voici un point de vue différent et complémentaire sur le sujet : Patrick Harboun, asset supervisor passé par MPC et DNEG à Londres, dispose de 7 année d’expérience dans la supervision d’équipes souvent situées à l’autre bout du monde, en Inde et au Canada.
Il a bien voulu revenir pour nous sur les avantages et contraintes d’une telle approche, tout en évoquant ses expériences passées. Comme vous pourrez le découvrir, il est satisfait de ce mode de travail et souhaite que le travail à distance perdure après la crise actuelle. Il est d’ailleurs ouvert à des postes proposant ce type d’opportunité, comme il l’explique en fin d’interview.

3DVF : Bonjour Patrick, pour commencer, peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Patrick Harboun : J’ai choisi de travailler dans l’image numérique après avoir passé mon enfance à prolonger les aventures vécues à l’écran dans mes dessins. J’ai complété mon master de réalisateur numérique à Supinfocom-Rubika en 2005 avec un court-métrage qui a dépassé le million de vues sur YouTube. 

J’ai démarré ma carrière en tant qu’animateur sur des jeux PS2, pour ensuite devenir généraliste à Ninja Theory sur des jeux PS3 comme Heavenly Sword ou Enslaved.

Ghost In the Shell

Après 6 ans, j’étais prêt pour un nouveau challenge, et je me suis lancé dans les VFX à MPC London. Je suis très reconnaissant envers ce studio qui m’a permis de rencontrer des artistes exceptionnels et de me donner de superbes opportunités. Au fil des années et des projets, j’ai pu devenir asset supervisor sur des shows comme Pirates des Caraïbes : La vengeance de Salazar et Ghost In the Shell

Pirates des Caraïbes: La vengeance de Salazar

Je suis ensuite passé à DNEG pour voir si j’étais capable de transposer mes méthodes à un autre studio. Je me suis alors retrouvé face un challenge colossal: la création d’une vingtaine de robots et monstres géants en juste 9 mois pour Pacific Rim Uprising, tout en apprenant à connaître une équipe parsemée sur 3 sites ainsi que le pipeline du studio. Mais grâce à l’effort incroyable de cette superbe équipe, nous y sommes parvenus. J’ai ensuite eu la chance de travailler sur d’autres projets prestigieux comme Fantastic Beasts 2 et Avengers Endgame.

Avengers : Endgame

L’année dernière, j’ai déménagé au Luxembourg où j’étais CG Supervisor dans un studio d’animation avant que la crise du COVID-19 frappe.

3DVF : Qu’est-ce qui t’a amené à te spécialiser en tant qu’asset supervisor ?

Pour moi, ce fut une évolution assez naturelle. J’aime avoir une vue globale de la création d’un projet. Lorsque MPC a introduit ce rôle, j’ai eu un moment d’hésitation, car je savais que j’allais passer encore moins de temps à créer, et plus de temps à manager. Mais je ne regrette pas cette décision et je prends plaisir à donner aux artistes le temps, l’inspiration et les moyens et de donner le meilleur d’eux-mêmes. 

3DVF : Selon toi, quelles sont les qualités indispensables pour faire ce métier ?

Tout d’abord, il faut accepter d’être créatif par proxy, c.-à-d. à travers les artistes de son équipe. Il n’y a rien de pire qu’un.e lead ou superviseur qui s’assigne les meilleurs tâches à lui-même puis qui délaisse son équipe faute de temps. Donc il est important de savoir déléguer.

Il faut également avoir une gestion du temps impeccable, que ce soit pour soi-même ou pour évaluer la durée d’une tâche.

Une bonne connaissance des nombreux softs utilisés en Assets est primordiale, mais vu qu’il est impossible de tous les maîtriser en profondeur, il faut aussi pouvoir s’appuyer sur le savoir des seniors.

Pacific Rim Uprising

Avoir un fort sens de l’initiative est souvent récompensé. Par exemple, sur Pacific Rim Uprising, on parlait souvent des nombreux dommages infligés aux robots, qui s’accumulent tout au long du film. Or aucune personne avait été désigné pour ce travail. Un soir, j’ai pris les choses en main, et, en m’appuyant sur la Previs, je les ai tous énuméré et catégorisé. Puis, j’ai développé une méthode de création pour chaque catégorie, qui m’a permis d’en déduire une durée et un coût. 

Pacific Rim Uprising

Dans la même lignée, il ne suffit pas de simplement suivre les directions et le feedback. Il faut voir au-delà, et être capable de comprendre la vision du réalisateur. Car chaque feedback se résume souvent à cette question: est-ce que ce détail aide à raconter l’histoire du film? Pour acquérir cela, je pense qu’il est important de se familiariser avec les films précédents du réalisateur et des oeuvres originales en cas de suites ou d’adaptations filmographique.

Finalement, un atout qui s’acquiert avec l’expérience, est une bonne intuition pour les problèmes potentiels, comme par exemple un changement de direction artistique ou l’attente due à l’absence de références.

3DVF : Bien des métiers sont sujets à des clichés et idées reçues loin de représenter la réalité : nous l’avions par exemple vu l’an passé au travers de l’interview d’un Previz/Rough Layout Artist qui soulignait que son département est souvent mal compris au sein même des studios.
Penses-tu que ce soit le cas pour un asset supervisor ? Quel est l’aspect de ton métier qui surprend le plus les gens ?

Je pense que beaucoup sous-estiment la quantité et la complexité du travail en Assets. Selon les projets, le département Assets peut représenter jusqu’à la moitié du travail de post-production. Il serait parfois presque plus juste de parler d’une phase Asset (ou Build) plutôt que d’un département. 

Sur certains films, la quantité d’assets était telle que j’ai dû diviser le travail en équipes (par exemple en team “robots”, team “monstres” et team “villes” sur Pacific Rim Uprising) qui avaient chacun leurs lead modelling, lead texturing et lead lookdev. Sur un tel projet, le rôle d’asset supervisor est essentiel pour assurer la continuité entre chaque team, mais aussi la liaison avec les autres départements.

Pacific Rim Uprising

Une autre particularité des Assets est le grand nombre de logiciels utilisés par rapport à d’autres départements. Outre les usuels logiciels de modelling, texturing et rendus, nous nous servons aussi d’applications spécialisées pour la création d’arbres, de vêtements, de cheveux, etc. Une fois je m’étais amusé à les énumérer et j’étais arrivé à une trentaine!

Par ailleurs, l’asset supervisor est souvent le premier arrivé sur le show. En effet, il est maintenant d’usage de commencer le travail du design de créatures avant même que le tournage n’ait débuté. Dès lors, on a la responsabilité de donner la meilleure première impression possible au client et de donner le ton pour le reste du projet.

Puis, il y a le fait que les Assets se trouvent en amont de toute la production. Ainsi, chaque erreur peut avoir un effet boule de neige sur les autres départements.

Les Animaux fantastiques 2
Les Animaux fantastiques 2

3DVF : Au niveau financier, peux-tu nous donner une fourchette du salaire d’un asset supervisor (par exemple pour un poste dans un studio londonien) ?

Cela dépend vraiment des studios et de l’expérience, mais je dirais entre 60k-90k livres/an [environ 68 à 105 milliers d’euros, NDLR].

Page suivante : suite de l’interview avec travail à distance, importance de certaines qualités humaines, projets marquants.

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