Bob L'Eponge
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Les secrets de Bob l’éponge, le film : Éponge en eaux troubles avec Vincent Touache, lead rigging TD

Après une sortie en salles au Canada, puis sur Netflix en France et dans de nombreux pays il y a quelques mois déjà, Bob l’Éponge : Eponge en Eaux Troubles vient d’arriver aux USA via le service de streaming Paramount+.
La sortie mondiale étant désormais actée, les équipes de Mikros Animation peuvent enfin évoquer les coulisses du projet. Nous vous proposons donc une interview en compagnie de Vincent Touache, lead rigging sur ce film d’animation : un poste crucial puisqu’en aval, les besoins de l’équipe d’animation étaient multiples : personnages se déformant à l’extrême, smear frames, avalanche de personnages secondaires aux physiques très variés…
Un projet riche en défis, donc, que nous vous invitons à découvrir ci-dessous. Nous en profitons aussi pour remercier Mikros Animation d’avoir bien voulu nous dévoiler quelques secrets techniques !

3DVF : Bonjour Vincent ! A quel stade en était le projet lors de ton arrivée, et quelles étaient tes responsabilités sur le film ?

Vincent Touache : Le film Bob l’Éponge : Eponge en Eaux Troubles est le premier long métrage en CG pour la franchise. Il y avait donc tout à créer en 3D ! Bob l’Éponge est une série qui est extrêmement populaire et qui existe depuis plus de vingt ans. Tous les personnages sont très remarquables par leurs déformations et leurs poses. Il était clair depuis le départ qu’il y aurait un travail très particulier sur le rigging des personnages pour rester fidèle à la série originale.

En tant que Lead Rigging, je suis arrivé très tôt sur le projet, avant que les modèles ne soient approuvés, ce qui nous a permis de faire pas mal de R&D (et c’est assez rare pour le mentionner !) pour justement retrouver ce qui rend les personnages de Bob l’Eponge uniques.

Parmi les plus gros challenges, il y avait bien sûr la déformation extrême des personnages, mais également pas mal de recherches davantage orientées “pipeline”, pour la gestion des smear frames en animation, les templates de personnages (pour autant qu’on puisse avoir des templates quand tous les personnages sont différents !), définir une stratégie de développement pour les nodes custom, etc… De ce fait, mes responsabilités au début du projet étaient principalement du prototypage et de la recherche sur le personnage de Bob lui-même, avec dans une certaine mesure un peu d’encadrement des membres plus juniors.

Patrick (voiced by Bill Fagerbakke) and SpongeBob (voiced by Tom Kenny) in THE SPONGEBOB MOVIE: SPONGE ON THE RUN from Paramount Animation and Nickelodeon Movies. Photo Credit: Paramount Animation.

3DVF : Les personnages étant très divers, on imagine que la tâche qui vous attendait, toi et ton équipe, était massive. Comment s’est faite la répartition du travail, et la mise en place des priorités ?

Vincent Touache : La gestion des priorités a été significativement plus simple que ce à quoi je suis habitué : Bob était, sans surprise, la priorité numéro un, puis Patrick, Karlo, Mr Krabs et Plankton. Et cette priorisation s’est retrouvée tout au long de la production. On peut dire que l’importance des personnages dans la série (et donc dans le film) reflétait assez justement nos priorités.

En ce qui concerne la répartition des assets, on a essayé au maximum d’assigner un asset à un artiste, et de ne pas s’échanger les assets entre nous. Une organisation similaire avait été mise en place à l’animation avec quasiment un lead dédié par personnage. L’énorme avantage, c’est qu’au bout d’un certain temps, chaque artiste connaissait son asset dans tous les détails et comprenait mieux les attentes de l’animation, le type de déformation recherché, etc…

En parallèle, certains éléments communs à beaucoup de personnages ont été développés séparément. C’est le cas par exemple des yeux, qui ont demandé pas mal de travail tant au niveau des paupières que de l’iris, chaque partie étant déformable à volonté.

3DVF : Bob, en particulier, est très cartoon dans ses mouvements, sans compter que certains éléments (yeux, paupières, bras…) peuvent migrer, changer de forme/taille ou encore disparaître selon les besoins du plan.
Comment l’équipe rigging a-t-elle pris en charge le personnage ?

Vincent Touache : Comme je le mentionnais, on a eu la chance d’avoir énormément de temps de développement sur Bob. Un des défis majeurs de cette production, et dont on a pris conscience justement sur Bob, c’est l’absence de rig facial : le visage de Bob est son corps. On a donc assez rapidement écarté le workflow classique de shape network pour trouver une approche plus adaptée. Nous partions d’une bonne base de connaissance interne, grâce nos collègues du studio de Paris, qui avait déjà fait un excellent travail sur le rig des deux Astérix [NDLR : Astérix – Le Domaine des Dieux et Astérix – Le Secret de la Potion Magique], ainsi que Maxime Cozic, qui est à l’origine de l’autorig, et qui a été d’une efficacité impressionnante dans la résolution des problèmes tout au long du projet. On a également regardé un peu ce qui se faisait ailleurs (e.g. Shape Analysis Driven Surface Correction – Claude Levastre) et on est finalement arrivés à un système 100% rig, 0 blendshape, qui permettait des déformations vraiment extrêmes tout en garantissant aux animateurs la flexibilité nécessaire. On a donc pu transférer le temps de production initialement attribué au face modeling au rigging.

Concrètement, on utilisait un mesh low resolution avec une topologie arrangée au vertex près pour nos besoins, lequel mesh déformait ensuite le render geo par un système similaire à un wrap. Il a aussi fallu énormément d’allers-retours avec le modeling pour gérer la topologie du corps ainsi que la pose par défaut ; la difficulté étant que les déformations de la bouche sont plutôt circulaires et le reste du corps est carré. Les deux edge flow entraient donc logiquement en conflit aux endroits où ils se rejoignaient.

Patrick (voiced by Bill Fagerbakke) and SpongeBob (voiced by Tom Kenny) in THE SPONGEBOB MOVIE: SPONGE ON THE RUN from Paramount Animation and Nickelodeon Movies. Photo Credit: Paramount Animation.

Pour le reste, là encore, on a travaillé ensemble avec Maxime Cozic pour essayer de rentabiliser chaque channel de chaque controller ; dans un film aux inspirations 2D aussi marquées, il est primordial pour l’animation d’avoir un contrôle total sur la silhouette. Dans ce sens, la majorité de nos controllers étaient scalables. Il a néanmoins été nécessaire de développer un système supplémentaire par-dessus, qui permettait aux animateurs de redessiner la silhouette du personnage selon leurs besoins. Pour cela, nous avons une fois de plus bénéficié du travail remarquable de Maxime Cozic sur Astérix – Le Secret de la Potion Magique.

Enfin, les bras et les jambes ont également demandé un soin particulier. Il fallait bien sûr fournir de quoi les déformer à l’extrême, et un simple système de ribbon ne suffisait pas. On a donc opté pour des Bezier curves, qui offrent un contrôle plus instinctif grâce au système de tangentes. La difficulté des curves étant de garder un up vector consistant, on a mis en place un système de parallel transport (Parallel Transport Approach to Curve FramingHanson et. al.). Bien sûr, il y avait un petit impact en performance, mais en contrepartie on avait un bras extrêmement stable, en particulier sur les twists.

3DVF : Bob mis à part, quels ont été les principaux défis pour l’équipe, et notamment ceux que tu as gérés à ton niveau ? Le style d’animation qui évoque à la fois un style cartoon et la stop-motion a sans doute créé des challenges inédits ?

Vincent Touache : Un des défis majeurs a été de garder de la cohérence dans la pléthore de personnages aux morphologies toutes très différentes. Cela demande beaucoup de coordination et d’anticipation.

Les personnages principaux sont évidemment d’un niveau de complexité très élevé et bien qu’ils paraissent plus simples, les personnages secondaires ont présenté aussi leurs challenges. Je crois qu’avec le recul, toute l’équipe a adoré avoir eu la chance de travailler sur des rigs aussi originaux.

Et puis, les équipes rig et animation ont travaillé de manière très rapprochée. Nous avons travaillé vraiment main dans la main pour trouver les bonnes poses, permettre les smear frames, et toutes les subtilités que je vous invite à découvrir dans les vidéos de l’équipe [NDLR : que vous pouvez découvrir au fil de cet article]. Comme nous avons pu lancer des essais très tôt dans le projet, cela nous a permis de vraiment pousser notre réflexion pour obtenir ce qui allait vraiment répondre à la vision du réalisateur.

3DVF : Comment se déroulaient les échanges avec l’équipe animation ? A-t-il été difficile d’anticiper tous les besoins de ce département ?

Vincent Touache : Comme je le mentionnais précédemment, ce qui fait la caractéristique intrinsèque des personnages de Bob l’Eponge, c’est qu’ils sont imprévisibles ! Ils se déforment dans tous les sens, ils ont des poses incroyables – donc nos équipes d’animation étaient en recherche permanente et évidemment, il n’était pas possible de tout anticiper.

Contrairement aux workflows “classiques” où l’animation arrive après le rig, l’un ne pouvait pas progresser sans l’autre. On récupérait les notes de Jacques Daigle, le superviseur animation sur le film, à chaque lancement d’un nouveau personnage, pour fournir une v1 de rig au plus vite. Les animateurs commençaient ensuite les tests, et nous revenaient avec une idée beaucoup plus claire de ce qui fonctionnait ou non.

Témoignage de Jacques Daigle, Animation Supervisor – Mikros Animation

La clef de la réussite sur ce projet est incontestablement, selon moi, l’investissement en R&D que Mikros Animation a permis. Il n’est pas toujours facile, du point de vue de la production, d’accepter de dédier le temps nécessaire à cela, à accepter que pendant un temps aucun asset ne sorte. Mais cela a fait vraiment la différence sur ce film.

3DVF : Il est courant que le cloisonnement entre départements puisse créer quelques idées reçues sur tel ou tel métier : nous avions par exemple abordé ce point lors d’une interview sur le rough layout l’an passé. Est-ce le cas pour ton département ? Quelles sont les idées reçues les plus courantes ?

Vincent Touache : Haha ! Oui, les riggers ont en général une piètre image des animateurs, et vice versa ! Dans mon cas, probablement dû à mon background plutôt “artistique” (illustrateur puis compeur), j’ai toujours eu d’excellentes relations avec les animateurs. Une fois établi qu’on est dans la même équipe et que l’on œuvre pour le même objectif, il faut que tout le monde comprenne que toute nouvelle feature est associée à un coût (en fps et en temps de conception). Il y a donc des choix à faire pour obtenir un résultat de haute qualité, en gardant en tête le budget. De même, ça demande un peu d’abnégation, côté rigging, d’accepter que parfois, la solution la plus simple est largement préférable à un système beaucoup trop complexe, même si on en est techniquement très fier !

Sur Bob l’Éponge, je pense que l’on a eu la meilleure équipe animation avec laquelle j’ai eu la chance de travailler. Toute l’équipe a fait preuve d’une patience et d’une compréhension remarquables. Ce qu’ils ont produit me remplit de fierté, et je les en remercie ; le meilleur rig du monde passera complètement inaperçu s’il est mal animé

Pour ce qui est des relations avec le reste de l’équipe, je crois qu’il y a beaucoup de mimétisme. Lorsque les encadrants montrent l’exemple du dialogue, du respect, de la collaboration, les autres artistes suivent en général le modèle d’interaction.

3DVF : Le rigging fait partie des secteurs dans lequel on voit passer des innovations, qu’il s’agisse des outils logiciels ou des publications lors de conférence (SIGGRAPH, par exemple). Quelle est ta vision de l’évolution de cette spécialité ? Quels sont selon toi les axes à suivre, ou les besoins qu’il faudrait combler ?

Vincent Touache : La réponse la plus évidente serait de penser au machine learning. Il y a un énorme engouement là- dessus. Même si cela permettra des choses vraiment très intéressantes, comme Fast and Deep Deformation Approximations – Stephen W. Bailey, Dave Otte, Paul Dilorenzo, & James F. O’Brien, qu’on a envisagé un temps au début du projet, mais qui, dans la pratique, s’est avéré trop contraignant pour nos besoins et notre agenda, je ne pense pas que cela révolutionne radicalement la manière d’appréhender le rig. De même, beaucoup de gens sont très attirés par les possibilités récentes d’Houdini en matière de rig, mais je pense que tant que les animateurs n’auront pas un intérêt substantiel à passer sur un autre soft, ils resteront sur Maya. Et tant que les animateurs seront sur Maya, les pipelines seront construits autour de ça (sans même parler de la différence de prix entre Maya et Houdini, souvent oubliée). De plus, l’arrivée de Bifrost sur Maya pourrait changer pas mal la donne. C’est encore tôt pour se prononcer, mais les tests que j’ai fait jusqu’à maintenant sont plutôt prometteurs.

Enfin, les nouvelles avancées du côté du temps réel m’attirent beaucoup aussi, et je ne suis pas le seul ! Beaucoup de studios VFX commencent à investir dans le développement des outils de temps réel, qui ouvrent tout un monde de possibilités !

3DVF : Enfin, quelques mots/conseils pour les jeunes artistes qui nous suivent en école et envisagent de se tourner vers le rigging ?

Vincent Touache : Foncez ! Le consensus général semble être que les riggers sont une ressource terriblement rare. Si vous aimez ce que vous faites, documentez-vous, ne vous arrêtez surtout pas à ce qui est enseigné à l’école, où on ne fait qu’effleurer la surface, par manque de temps.

En sortie d’école, je ne me destinais pas au rig. Je craignais que l’expression de ma créativité se limite à la forme de mes contrôleurs. J’ai découvert seulement plus tard que le rig pouvait être incroyablement créatif et varié, il faut simplement se donner les moyens d’arriver jusque-là !

En termes de références, je préfère privilégier les livres, qui proposent une information plus complète et précise que beaucoup (trop) de ressources, gratuites ou non, qu’on trouve en ligne. Mais c’est sans doute mon côté vieux jeu =] J’ai appris le python sans internet à l’école, et le problème que j’observe avec mes étudiants, c’est qu’il y a tellement de ressources à portée de souris, en ligne, que malheureusement 90% de ces ressources donnent de mauvaises habitudes. Tout n’est pas à jeter, mais il faut garder un regard critique vis-à-vis de ce qu’on voit en ligne, je trouve. A l’inverse, les livres engagent davantage la crédibilité de leur auteur, et bénéficient à mon sens de davantage de travail et de sérieux. Animation Friendly Rigging, de Jason Schleiffer, Complete Maya Programming tome 1&2, de David Gould, ou Rapid Gui Programming with Python and Qt, de Mark Summerfield, pour ne citer que ceux-là, sont pour moi des références incontournables, pendant ou après l’école.

Courage, la route est longue, mais terriblement addictive et gratifiante !

Pour en savoir plus

  • Le profil de Vincent Touache sur LinkedIn ;
  • Le site officiel de Mikros Animation ;
  • Bob l’Éponge : Eponge en Eaux Troubles est disponible sur Netflix sur la plupart des territoires dont la France, et via Paramount+ aux USA.

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