3DVF : Comment avez-vous travaillé la couleur ?
Circus : Matthieu, le directeur artistique, a fait de nombreux color scripts. Nous les avons traduits en 3D en choisissant des plans masters, des plans de référence que nous avons poussés artistiquement pour être très fidèles à ce que souhaitait le directeur artistique au niveau couleur, contraste, etc.
Une fois que nous avions le look souhaité sur ces plans master, ils nous ont fourni une bonne base de lighting et compo que nous avons pu décliner sur l’ensemble des plans via le pipeline, avec des ajustements plan par plan par la suite.
Plus précisément, on a travaillé avec des moods et masters : le mood étant par exemple un axe caméra dans une pièce, le master étant le contre-champ. Le master est une déclinaison de l’ambiance mise en place dans un axe caméra, mais en changeant d’axe et en retravaillant l’ambiance : l’idée étant ensuite, après ce travail sur deux axes, d’avoir l’assurance que l’ambiance mise en place fonctionnera quel que soit l’axe.
Mais tout ça reste assez traditionnel, finalement, comme méthode.
Le teaser, un élément qui « bouscule le plan de bataille »
3DVF : Quelques moments de stress durant la production ?
Circus : Oui, notamment pour la sortie du teaser B2B ! Il peut être demandé 4, 5, 6 mois avant la fin du projet car le producteur en a besoin : c’est normal. Un des gros avantages c’est que ça bouscule le plan de bataille. Il faut évidemment faire des compromis : le producteur peut avoir envie de montrer un peu de tout dans le teaser, or les décors ne sont pas tous finalisés, il faut faire des versions intermédiaires….
Mais c’est positif, ça bouscule le plan de bataille et ça force à trouver des solutions sans repousser : on anticipe donc beaucoup de points et on ne se retrouve pas avec de grosses questions de pipeline en fin de projet.
Bref : c’est dur mais c’est bénéfique pour tout le monde et pour le film.
3DVF : D’autres difficultés techniques et artistiques ?
Circus : Le nombre de décors et de personnages, que nous avons déjà abordé, ont été des défis. Le lookdev également pour trouver le bon style, et les effets 2D.
Le style d’animation a rapidement été trouvé, le réalisateur voulait quelque chose de nerveux.
Mais globalement les difficultés sur ce projet portaient moins sur des points techniques insurmontables que sur des imprévus comme la pandémie, et le planning serré qui a créé des chevauchements d’étapes.
3DVF : Une petite digression à propos du chevauchement : on voit émerger des solutions collaboratives comme PocketStudio, Omniverse chez NVIDIA, Ubisoft et son outil Mixer pour Blender, qui proposent de revoir le fonctionnement des équipes, avec de la collaboration temps réel entre différents départements. Est-ce quelque chose qui aurait pu trouver sa place dans une telle production ?
Circus : On s’intéresse à ce type de solution mais pour ce projet, c’était encore un peu trop tôt, nous avons préféré rester sur des solutions « classiques », disons, avec des entrées et sorties de départements qui sont dans nos habitudes.
On préfère tester les nouvelles technologies sur de petits projets dans un premier temps, c’est moins risqué.
L’autre point à prendre en compte sur une approche collaborative entre studios, c’est qu’il faudrait avoir la certitude de disposer un carnet de commandes commun suffisamment étoffé pour pouvoir se lancer. Une collaboration de longue durée assurée. C’est uniquement dans ce contexte qu’il serait pertinent de capitaliser sur un pipeline avec travail en commun sur les scènes. C’est même plus profond que cela, puisque travailler sur les mêmes scènes en temps réel implique que les équipes doivent travailler quasiment de la même manière sur les deux sites, avoir une même nomenclature… Donc un pipeline très proche.
« Un effet 2D « raconte » plus qu’une simulation »
3DVF : Revenons également sur le style visuel, ce mélange 2D/3D. On voit des studios comme Sony pousser ces approches, en faire leur patte graphique. Qu’en est-il de votre côté ?
Circus : C’est en fait un look que l’on avait développé avec Passion Pictures Paris sur LEGO et que l’on reproduit régulièrement.
Ca apporte de la différence au niveau graphique, et c’est plus onirique, moins réaliste, quelque part un effet 2D fait sur mesure « raconte » plus qu’une simulation, il y a plus de réflexion artistique et plus de choix en termes de direction artistique et réalisation.
Cela veut aussi dire que l’on ne peut pas mettre autant d’effets 2D que 3D (sauf avec un budget US), donc on choisit avec soin les plans qui en bénéficieront.
A noter aussi, nous avons créé un Lab dans le studio, qui s’intéresse à cette problématique de mélange effets 2D/rendu 3D, car nous allons utiliser cette approche sur une future série. Nous explorons donc ce sujet pour le pousser encore plus.
3DVF : Est-ce que la pandémie a bloqué certaines choses durant la production du Tour du monde en 80 Jours, comme des déplacements en Belgique ?
Circus : Il y a effectivement eu un moment de blocage, mais sur la majorité du projet réalisateur et directeur artistique se rendaient régulièrement là-bas pour échanger avec les équipes de Mac Guff. Notre superviseur général, Yann Avenati, s’y rendait aussi au moins une fois par mois avec eux deux et le directeur de production.
Plus globalement, il est certain que la pandémie nous a fait prendre en main les outils de visioconférence, bien plus qu’avant : faire des reviews à distance est devenu naturel.
Les reviews à distance ont d’ailleurs leurs avantages, l’écoute s’améliore, chacun à son temps de parole, il y a moins de brouhaha.
3DVF : Votre bilan de ce long-métrage ?
Circus : Quand on est dans le projet, il est difficile d’avoir du recul. Mais lorsque nous assisté à la projection du film finalisé, quelques mois après la livraison des images, nous avons été assez fiers du résultat. On ne devine pas trop dans quelle économie, quel budget le film se situe, l’image est belle et on en a plein les yeux durant la projection.
C’est une belle aventure !
3DVF : Des regrets ?
Circus : Au niveau technique et artistique, les choses se sont bien passées, par contre c’est vrai que le multisite crée une distance, un mail peut être mal interprété par exemple, il peut y avoir des incompréhensions. C’est toujours gênant même si logique et inévitable, sauf à travailler régulièrement avec les mêmes équipes, à bien se connaître. Et même en se connaissant, le confinement a été éprouvant en termes de communication, surtout en restant sur de l’écrit : le téléphone, la visio fonctionnent mieux.
« Renforcer l’humain »
S’il y avait une chose à changer, ce serait donc améliorer cette gestion de la distance, sans compter que la pandémie a renforcé la situation, de même que la gestion des tâches qui nécessitait des liens forts, ce qui n’est pas toujours le cas sur ce type de projet, selon la manière dont les choses sont découpées.
Si c’était à refaire, ou sur de futures production, une piste serait de renforcer l’humain, quitte à allouer plus de budget pour les trajets, ou faire davantage de team building pour lier les équipes. Peut-être créer des binômes entre studios… Il y aurait beaucoup d’idées à tester.
Et ce genre de chose, on en a conscience au début d’un projet, mais le manque de temps fait que l’on ne peut pas forcément concrétiser cela. Cet aspect psychologique est vraiment minimisé dans les studios, alors que c’est un point majeur sur des projets comme celui-ci.
Il faut dire aussi qu’avec les restrictions Covid, nous n’avons pas pu faire de pots de départ lorsque des artistes quittaient le projet, ou de fête de fin de production… Même pour la projection du film finalisé, l’équipe belge n’a pas pu venir en intégralité, même chose lors des projections intermédiaires.
Sur de prochaines productions, nous serons plus attentifs à ces sujets pour améliorer la communication et l’humain.
Ceci étant dit, encore une fois, ce fut une très belle aventure et nous avons envie de la renouveler !
3DVF : Plus largement, avec la fin de la production, vous achevez votre virage vers le long…
Circus : C’est d’autant plus fort qu’il y a 5 ou 6 ans, quand on faisait beaucoup de pub, on en discutait avec Samuel, on parlait de cette volonté d’aller vers du long. Y être arrivés, avec lui, c’est génial, on espère que ça va continuer !
3DVF : Merci Circus d’avoir bien voulu évoquer cette aventure avec nous !
Pour en savoir plus
- Le Tour du Monde en 80 Jours (Around the World sur les territoires anglophones) sort le 4 août dans les salles françaises ;
- N’hésitez pas à consulter notre précédente interview de Circus, plus générale, qui revenait sur la croissance du studio, son virage vers l’animation, la série et le long-métrage, son travail sur la série LEGO.