Jingle Jangle

Jingle Jangle : les coulisses du lighting sur un film de Noël féérique

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3DVF : Buddy 3000 est un autre personnage mémorable. Ce petit robot a de grands yeux, un coeur qui brille. Deux points importants pour le rendre « vivant », d’autant qu’il ne parle pas. Quelles étaient les attentes du réalisateur David E. Talbert et du VFX Supervisor Carlos Monzon pour ce personnage? Quels ont été les plus gros défis ?

Lorene Bettker : Bien sûr, Buddy a une histoire derrière lui! Des tas de concepts et de tests ont été réalisés. Le réalisateur et notre VFX supervisor ont vraiment mis un point d’honneur sur ses yeux et ses sentiments que nous pouvions lire à travers eux.

 Au début, les yeux de Buddy étaient vides, c’était principalement un tube qui remontait jusqu’au fond de sa tête. C’était vraiment drôle en termes d’animation, d’obtenir ces GRANDES énormes pupilles noires, il ressemblait a un chat trop mignon tout le temps, mais il faisait très defoncé aussi, vous savez … Le principal défi était de trouver un moyen d’ajouter des émotions à ces grandes pupilles noires.
Après avoir regardé d’autres robots, un jour j’ai pris le modèle d’une paire de jumelles de base que nous avons à Framestore et je l’ai mis à l’intérieur de ce tube, pour avoir le sentiment qu’il y a un mécanisme à l’intérieur, exactement comme un appareil photo fonctionne quand on zoome ou dézoome, on voit toutes les lentilles bouger.  Cela nous a amenés à discuter avec le département de modelling et de look-development, et quand ça a été proposé au réalisateur (après que notre superviseur VFX Carlos Monzon ait approuvé le remake complet), il a adoré, et ça a résolu pas mal de problèmes en termes de sentiments, on pouvait même maintenant ajouter une direction de regard à Buddy, mais cela a posé des défis en lighting et de rendu!

Comme mentionné dans la question, les yeux et le cœur étaient les défis de cet asset.

Tout d’abord, nous avons beaucoup plus de gros plans de Buddy que de Don Juan, ce qui signifie rendre une lentille en verre de 2 cm d’épaisseur avec de la saleté et de la réflexion / réfraction qui occupent un grand pourcentage de l’écran, et avec des reflets internes avec nos nouvelles lentilles intérieures. (nous avions un lightRig different de celui pour éclairer la scène, juste pour traiter et contrôler ce qui se reflétait sur ces nouvelles lentilles).
L’autre défi de ses yeux était de rendre des caustiques physiquement corrects. C’est tellement beau !
C’est l’aspect vitré des yeux qui est devenu technique, s’assurer de rendre une image propres, sans bruit/noise/grain, visibles sur plus de 70% du cadre de l’écran, sans trop utiliser de ressources de rendu (CPU), était le défi.
Nous avons fini par diviser beaucoup d’éléments sur differentes pass / layers, nous avions les yeux par défaut rendus avec le verre, mais juste les yeux (nous avions un AOV pour contrôler uniquement le reflet du verre), pas de corps, puis dans un autre layer nous avions  les caustiques mais nous ne rendions pas la reflexion du verre, le rendu des lentilles intérieures était également rendue sur une autre passe.
Dans certains plans, nous avons même rajouté une autre passe pour ajouter des réflexions de certaines lumières, encore une fois avec un lightrig séparé, pour coller encore plus à  la maquette sur le plateau de tournage, mais en l’améliorant, on ne va pas refléter une simple lumière carrée ou ronde, on y ajoutait une texture pour la faire ressembler à une fenêtre, ou ajouter des variations. Le but était de créer de belles réflexions, intéressantes, ou tout du moins, pas choquantes. 
En guise de comparaison, Don Juan était rendu dans une seule passe. Buddy, rien que pour ses yeux, on pouvait aller jusqu’à 4.

Pour le cœur, nous avons moins de gros plans que sur son visage, c’était un soulagement pour nous, mais nous devions  trouver comment gérer ceux que nous avions (qui sont de superbes plans pour être honnête ! ).
Le principal défi c’est qu’on est encore confrontés à de la réfraction!  Mais pire maintenant, nous avons des tonnes de petits engrenages, chacun tournant, créant un flou de mouvement / motion blur, avec un asset auto-éclairé pour le filament de l’ampoule qui éclaire tout le cœur, lui-même construit à l’intérieur du tube en verre de l’ampoule. 
Pour la grande majorité des plans, comme le cœur n’est pas trop grand dans le cadre, nous l’avons rendu avec le corps, en incluant un AOV pour le reflet du verre et cela fonctionnait parfaitement. Nous avions aussi contraint une volume box dans son cœur pour avoir une passe/ un layer de glow émanant de son coeur.
Mais lorsque vous commencez à zoomer et à vous rapprocher, nous avons dû le séparer du corps pour pouvoir le traiter séparément, il n’y avait aucuns moyen pour nous d’obtenir un rendu propre sans bruit/noise/grain dans le flou de mouvement de ces engrenages à rotation rapide sans faire exploser notre ferme de rendu. Nous l’avons donc séparé du layer du corps.
Comme le corps de Buddy était assez rapide à rendre, ce n’est que du métal, nous avons pu utiliser le sampling minimum nécessaire pour le corps et nous assurer que tout le sampling que nous mettions sur le cœur ne serait redistribué UNIQUEMENT que pour le cœur, car le corps a été rendu dans sa propre passe / layer – n’oublions pas que nous ne sommes pas seuls à utiliser la ferme de rendu et plusieurs projets ont également besoin de ces ressources.
Pour exemple, le plan à l’intérieur de la boîte en bois où Buddy surchauffe en s’échappant du tunnel était un gros défi pour nous et nous avons dû tout diviser pour économiser les ressources de rendu. On s’est donc retrouvé avec quatre passes pour les yeux, une passe pour le corps, deux pour le cœur – plus tous les autres éléments à rendre (FX étincelles et fumée – interaction sur la boîte). tout ça juste pour un seul personnage.

3DVF : Justement, à propos de cette séquence du tunnel… Il s’agit d’un passage complexe qui met en scène un environnement full 3D, des doublures numériques d’enfants, ainsi qu’une grosse explosion. Comment toi et ton équipe avez-vous géré ces plans ?

Le défi ici était de travailler dans un environnement fermé, qui était recouvert d’une céramique sombre assez réfléchissante, de flaques d’eau au fond et d’ajouter à l’intérieur de cet environnement une énorme boule de feu pourchassant les personnages, qui éclairerait et se refléterait partout. Ajoutez à cela l’impressionnant digi double lookdev qui comprend des scattering shaders et des cheveux crépus, avec très peu d’ouvertures pour laisser passer la lumière, ce qui fait que le tunnel est en fait éclairé par seulement quelques rayons directs, la plupart étant indirects – C’est la recette parfaite pour avoir du bruit/noise  dans l’image, une belle promesse de migraine !
Je pense qu’un énorme défi a été relevé par les départements de rigging et de layout, car avant tout, ils devaient verrouiller la forme du tunnel et le mouvement de la caméra, ce qui n’était pas une tâche facile. Une fois que cela a été fait (nous avons malgré tout du commencé à éclairer pendant ce processus pour des raisons de gestion du temps, ce qui n’était pas évident parfois pour les artistes – lorsque tu dois refaire ton lightRig trois jours de suite parce que la forme du tunnel change tous les jours, ça pouvait être frustrant), nous pouvions placer nos lumières là où se trouvaient les fenêtres modélisées (qui correspondaient à la partie du tunnel qui avait été construit pour de vrai sur le plateau).
C’est une séquence avec un bel éclairage mais qui est assez simple! Une combinaison élaborée de lumières sur le côté droit et gauche du tunnel où se trouvaient les fenêtres a fait l’affaire, puis Carlos Monzon nous a beaucoup dirigés concernant la teinte et l’exposition de nos lumières, il avait une vision très claire de cette séquence et cela nous a vraiment aidés à verrouiller le lighting rapidement. Ce qui était une très bonne chose car nous avons alors pu nous concentrer sur l’aspect technique de nos images, les rendre propres et sans bruit / noise. Toute l’équipe a participé et nous avons bombardé la renderfarm de sampling tests.  Comment optimiser notre utilisation de l’énorme boule de feu?  Dans les plans où nous utilisons encore quelques morceaux de la plate d’origine et nous faisons une extension du vrai tunnel en CG, que pouvons-nous économiser pour le rendu?
Nous avons beaucoup utilisé la technique du masque de rendu, qui rend essentiellement une région de votre image que vous spécifiez avec une texture animée (ou non) avec alpha, donc pour les plans où nous faisions une extension uniquement du vrai bout de tunnel qui avait été construit (tous les plans au début de la sequence avant l’explosion) nous ne rendions pas la zone où nous avons gardé le vrai tunnel de la plate et nous fournissions au compositing quelques passes de réflexion en plus qu’ils utilisaient pour mieux intégrer le vrai tunnel avec le CG tunnel. 
Pour la boule de feu, le département FX a fait un excellent travail sur la simulation et nous a fourni quelque chose avec lequel il était facile de travailler, ce n’était pas trop lourd dans la scène – Le défi ici était de s’assurer que nous pouvions débruiter / denoiser son reflet sur le tunnel – nous avons donc préféré le séparer du rendu par défaut du tunnel pour pouvoir le traiter séparément. Nous avons donc un layer/pass de tunnel vert sur lequel nous avons ajouté un layer / pass de réflexion du feu uniquement, le tout donnant ainsi plus de contrôle au compositing pour le look final.
Le motion blur nous a causé des soucis;  certains mouvements de caméra sont assez extrêmes ou vont tout simplement très vite!  Un environnement sombre qui reflète quelque chose de lumineux, des cheveux flous foncés détaillés qui captent également la lumière et se déplacent rapidement dans cet environnement fermé; le motion blur n’aimait pas ça du tout et comportant beaucoup de bruit, de grain. Dans certains plans, nous avons pu mieux le sampler pour améliorer l’apparence, mais dans d’autres, nous avons résolu le souci en effectuant un rendu sans flou de mouvement et en fournissant au compositing des vecteurs de mouvement (motion vectors) afin qu’ils puissent faire eux-mêmes le flou de mouvement en 2D-  malheureusement cela ne pouvait pas fonctionner dans les plans avec un  mouvement de caméra complexe, il devait être assez linéaire.
Un plan qui a été rendu comme ça est celui dans le tunnel où nous sommes derrière une grille d’aération, très près du sol, les enfants venant de gauche étant poursuivis par la boule de feu.

Un dernier défi était la nécessité dans certains plans de garder les enfants de la plate, les vrais acteurs, avec un éclairage assez simple de plateau, et de les intégrer dans un environnement entièrement CG dans lequel l’éclairage pouvait donner un sentiment de détachement enfants par rapport au décor, nous avons dû adapter notre éclairage à ces enfants pour ces plans, tout en ajoutant plus de richesse pour l’améliorer et le rendre crédible.
Cette séquence est le résultat de nombreuses discussions entre le lighting et le compositing, de nombreux compromis et solutions de part et d’autre et un réel sentiment de « nous travaillons ensemble dessus ».

3DVF : Enfin, le dernier plan du film présente l’usine de jouets et la ville située en contrebas. Un très beau plan avec beaucoup d’éclairages dans les rues et bâtiments. Quelques mots à ce sujet ?

En fait, pour le lighting, c’était assez simple! Comme je l’ai mentionné précédemment, nous avions une équipe d’environnement sur le projet, et ils ont géré toutes ces plans de village. Dans ce dernier plan, la lighting team rendait uniquement la neige qui tombe et Buddy. L’éclairage de l »usine de jouets a été conçu par un artiste senior de l’équipe de lighting et il en a été responsable tout au long de la production, mais l’équipe environnement s’est chargée de la rendre et du village.
Steven Donnet était le responsable de la ville et de l’environnement.

3DVF : Durant ce projet, Framestore a fait face à une crise sans précédent : la pandémie de Covid-19. Quelles actions ont été prises, à la fois pour protéger l’équipe et continuer le travail ?

Très rapidement, l’équipe système a dû trouver une solution car les gens ont arrêté de venir travailler assez rapidement – Moi-même j’ai décidé un jeudi de ne plus prendre le risque, et Framestore a demandé à tout le monde de rester à la maison le lundi suivant – Cela leur a pris une semaine pour livrer les écrans et souris / claviers à tout le monde dans l’entreprise + l’envoi d’un routeur sécurisé. Ils ont fait un travail de titans, travaillant sans relâche jour et nuit pour travailler sur le réseau sécurisé – ces gars m’ont vraiment impressionné et je leur en serai éternellement reconnaissante !
D’ailleurs ils y travaillent toujours pour que nous puissions avoir une meilleure expérience et de meilleures performances avec le réseau au quotidien. Je peux maintenant me connecter à ma machine physique au travail, depuis mon salon! De plus, les clients étaient compréhensifs et je sais qu’ils sont tous très satisfaits de la façon dont Framestore a géré cela, ils n’ont pas ressenti le changement de productivité et de livraisons, donc c’est super!

3DVF : En tant que lead lighting TD, la communication est une clé de ton travail : a-t-il été difficile de t’adapter aux nouvelles contraintes ?

Si vous saviez à quel point vous avez raison sur la communication, C’EST LA CLÉ! Et ce qui peut parfois être frustrant, c’est que tu peux pas simplement te lever, aller voir la personne que tu veux, et en finir avec le sujet, espérons-le, en quelques minutes et en souriant. En plus de créer également une belle dynamique avec toute l’équipe, pas seulement la lighting team.
Je ne dirais pas que c’est difficile, mais ça a changé. Je suis toujours dans cette phase de decouverte, mais maintenant, pour chaque petit détail, qui aurait juste besoin d’une simple visite à quelqu’un se transforme en une réunion, une visioconférence.
Certains sont nécessaires, ca reste beaucoup plus facile d’en parler que d’écrire dans une fenêtre de chat, mais c’est quand même beaucoup plus long et énergivore qu’une discussion rapide en personne. (en raison du fait que tout est plus lent en visio car vous ne pouvez pas parler en même temps que quelqu’un, il y a toujours un décalage, tout le monde n’a pas une bonne connexion, donc parfois vous ne pouvez tout simplement pas comprendre ce que la personne dit – la synergie n’est pas la même). J’ai également dû m’assurer que je pouvais faire confiance aux couleurs que je voyais car cela faisait des années que je n’utilisais pas mon ordinateur portable personnel au quotidien donc il a fallu que je le calibre.
Point positif, cela pousse à avoir de meilleures explications car tu peux pas simplement te lever, et pointer du doigt sur l’écran – la plupart du temps, je partage simplement mon écran via un canal sécurisé et pointe avec ma souris. Mais encore une fois, cela prend du temps! J’ai eu la chance d’avoir toute mon équipe au complet début mars, donc nous avions déjà une vie d’équipe avant de se dire au revoir.
Je suis vraiment curieuse de commencer mon prochain projet et de l’organiser dès le debut depuis la maison!

3DVF : Dernière question : qu’est-ce qui te donne le plus de fierté sur ce projet, au final ?

Je suis très fière de l’esprit d’équipe que nous avons construit, ce fut l’une de mes meilleures expériences de carrière, et le travail avec notre production et l’equipe de supervision a également été très fluide et respectueux et tout le monde était impliqué, probablement parce que nous avons tous commencé le projet ensemble au studio, donc nous n’étions pas un visage étrange sur un écran, mais c’était vraiment naturel de travailler tous ensemble. C’est définitivement mon meilleur point.
Dans le film lui-même, je suis très fière et ravie de voir à quel point Buddy est beau et mignon. Je pense aussi que la séquence du tunnel est folle et même si je vais toujours y trouver des défauts, je pense que ça a l’air vraiment sympa, et c’était ma première explosion à gérer, donc une victoire personnelle quand elle a été gérée dans un tunnel!
Et je suis aussi fière de faire partie d’un film de Noël moderne, j’adore les films de Noël, mais ils peuvent rapidement être répétitifs ou old school, celui-ci est clairement un nouveau genre, et très rafraîchissant! On en veut davantage, s’il vous plaît !

3DVF : Merci Lorene et merci au studio Framestore de nous avoir permis de plonger dans les coulisses de Jingle Jangle ! Rappelons que le film est visible sur Netflix.

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