Kaamelott : Premier Volet
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Interview – Kaamelott : Premier Volet, les effets derrière le film !

Après une sortie très attendue au cinéma, 12 années après la fin de la série culte, Kaamelott : Premier Volet a connu un retentissant succès : plus de 2 millions et demi d’entrées en France. Une réussite d’autant plus impressionnante qu’elle s’est faite dans un contexte très difficile pour le secteur du cinéma, la crise du COVID ayant tendance à faire chuter les entrées.

Le film est disponible depuis quelques jours en DVD et Blu-Ray. A l’occasion de cette sortie vidéo, nous vous proposons de revenir sur les effets visuels du film en compagnie de Philippe Fournier, créateur du studio parisien Fullscreen qui a géré environ 400 plans truqués pour ce Premier Volet, et de Pierre Magnol, qui a supervisé le film et était l’interlocuteur d’Alexandre Astier pour les effets. Vous trouverez aussi dans l’article des photos du tournage.

A noter enfin, pour les fans de Kaamelott qui découvriraient notre site et ne seraient pas familiers des techniques d’effets visuels/CGI : nous avons volontairement ajouté pour vous quelques mentions afin que vous puissiez comprendre plus facilement le contenu de l’interview, par exemple en expliquant brièvement la fonction des logiciels cités. N’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram…) pour découvrir nos futurs contenus.

Breakdown des effets du film par Fullscreen

3DVF : Bonjour Philippe, bonjour Pierre, les équipes de Fullscreen et vous avez travaillé sur les effets visuels de Kaamelott : Premier Volet, sorti cet été au cinéma et désormais disponible en DVD/Blu-Ray.
Comment vous êtes-vous retrouvés rattachés au projet ?

Pierre Magnol : J’ai eu l’occasion de travailler pour le précédent spectacle d’Alexandre Astier (L’Exoconférence) mais aussi pour certains de ses collaborateurs les années qui suivirent. Du coup lorsque la production proprement dite du film a commencé, j’ai été contacté par ces équipes et on m’a proposé alors d’en superviser les VFX. J’ai immédiatement pensé à Philippe pour le développement de ces derniers. Le sérieux et la compétence, mais aussi la flexibilité de son savoir-faire et de celui de ces équipes furent un des éléments clefs de la réussite des effets spéciaux.  

Philippe Fournier : Je connais Pierre Magnol depuis de nombreuses années et on échange régulièrement sur nos projets respectifs. Pierre m’a appelé en fin 2018 pour me dire qu’il allait superviser le film Kaamelott : Premier Volet et qu’il allait me recommander à Alexandre, qui voulait travailler avec un studio de taille modeste, performant mais entièrement dédié au film.
On s’est rencontré à Lyon début 2019 et tout s’est enchaîné très vite.

Pierre a effectué les repérages assez tôt avec la production et nous avons participé 3 semaines au tournage fin mars 2019 à mi-avril 2020.

Ci-dessus et ci-dessous : le château de Murol, situé en Auvergne et visible, retouché, dans le film.
Crédit : Fullscreen

3DVF : Quels étaient les enjeux du film en termes de nombre de plans à truquer, types d’effets ? Et du côté Fullscreen, quelle était la taille de l’équipe, la durée du projet ?

Philippe : À la première lecture du script, on avait estimé le nombre de plans à truquer à environ 140.
Les effets étaient nombreux et variés :

  • armée Burgonde en 3d ;
  • château de Kaamelott en 3d ;
  • fonds verts ;
  • plans d’excalibur en flammes ;
  • effondrement du château ;
  • plans VFX de transition ;
  • cleaning des châteaux tournés ;
  • fantôme 3d (fait par Pierre et Ghiom) ;
  • quelques effets divers.

Pour l’équipe de Fullscreen, j’ai privilégié une équipe de taille réduite, mais sur toute la longueur du projet.
Au total quatorze graphistes ont travaillé sur le film, réparti sur une durée d’environ 14 mois.
Avec le remontage du film et des plans additifs, nous avons truqué au total 400 plans en 4K.

Pierre : La « méthode » Astier sous-entend une grande part d’improvisation. Entre les effets visibles lors de la lecture du script et ce qui fut réellement achevé, il y a un réel gap. Ce qui fait la force du récit d’Alexandre c’est certes son écriture première, mais aussi et surtout, tout ce qu’il occasionne lors du tournage et qui lui semble alors pertinent de rajouter pour le pimenter, voir lui faire prendre une tournure inédite. Les choix de Philippe en termes d’équipe et de suivi de projet furent donc pertinents et lui permirent de relever ce défi.

3DVF : Pierre Magnol (que les personnes qui nous lisent connaissent peut-être aussi sous le pseudonyme Bright-Photon), tu as supervisé le film et tu étais donc l’interlocuteur d’Alexandre Astier. Tu as par ailleurs géré une vingtaine de plans.
Comment s’est déroulée cette collaboration avec Alexandre Astier ? Quelle est sa vision des effets visuels, quelle était son implication ?

Pierre : Le développement fut assez classique. J’ai développé des concept-arts des différents effets visuels comme ceux de l’épée, les différents pouvoirs magiques, le matte painting sur le château, mais aussi la prévisualisation en 3d avec C4D pour la mise en situation du château, des armées ainsi que la chorégraphie, qui a demandé un soin tout particulier et une grande préparation.

Alexandre a suivi lui-même une petite formation sur C4D afin de pouvoir gérer les caméras dans le logiciel et choisir ses axes de caméra.

Il est par conséquent très impliqué. Il est par nature curieux, voir geek lui-même, il a besoin de comprendre comment fonctionnent les choses. Globalement, et comme pour tous les autres corps de métiers présents sur le tournage, il nous a accordé une très grande liberté.

[NDLR pour les personnes connaissant mal les outils de création numérique : C4D ou Cinema4D est un logiciel 3D généraliste]

3DVF : La Pandémie a-t-elle compliqué le travail de l’équipe d’effets visuels ?

Philippe : Le confinement a ralenti le projet, car chacun s’est retrouvé en télétravail, et c’est devenu plus compliqué pour coordonner tout le monde. En passant trop de temps en visio ou au téléphone, j’avais du mal à terminer le lookdev du château et d’Excalibur.
Comme le montage avait pris un peu de retard, nous avons mis le compositing en pause pendant trois semaines.
Puis tout a pu repartir à peu près « normalement » et de mai à septembre nous avons travaillé 5 mois d’arrache-pied.

Pierre : Évidemment cela a tout chamboulé, et en même temps cela nous a permis de remettre en perspectives pas mal de choses laissées en suspens. Je dirais qu’au final nous avons su en tirer le meilleur parti pour parfaire un bon nombre de détails. Ce que nous a appris cette crise c’est comment nous y adapter. 

[NDLR : le lookdev est la phase durant laquelle on cherche à définir l’apparence finale d’un élément dans le film ; le compositing est une des dernières étapes du processus d’effets visuels, au cours de laquelle on assemble différents éléments visuels tournés sur plateau et créés par ordinateur]

3DVF : Revenons sur les principaux effets, à commencer par le château. Ce genre d’élément est un classique au cinéma, mais aussi dans les séries (on pense par exemple à Game of Thrones), ce qui rend sans doute le public exigeant. Comment avez-vous abordé le château, artistiquement et techniquement ?

Philippe : Les plans du château ont été dessinés par Denis Seiglan et Tania Rotbart.
Les références étaient à la fois le Castel Saint Angelo à Rome et le donjon du château de Coucy, le plus haut jamais bâti en Occident mais détruit en 1917.

Kaamelott est le seul château dans le film à ne pas exister en réel. Il devait être à la hauteur des autres châteaux, d’où notre exigence sur les textures, les variations de pierres sur les murs, les détails de mousse jaunie…

Pour les raccords avec les plans filmés de la loge (qui s’effondre à la fin du film), nous avons repris les thèmes de déco intérieure pour les appliquer à l’extérieur. On retrouve donc dans les plans larges un rappel de liserés de briques autour des tours de garde et des tentures sur les murailles.

À la demande d’Alexandre, nous avons créé des hourds (charpentes en bois pour couvrir les remparts) et des toits en bois sur chaque tour, afin de rendre un peu plus médiéval… Même si le château est censé être récent, Alexandre a souhaité qu’on le vieillisse, car dans l’imaginaire collectif, un château tout neuf ne paraît pas crédible.

Pierre : Sur la base de la création de Denis et Tania, j’ai réalisé plusieurs lookdev visant à le rendre plus « patiné », mais aussi asseoir son ancrage au sol, j’ai fait ressortir certaines zones plus de d’autres, affiné certaines proportions. Une fois le look validé, les équipes de Philippe ont pris le relais.

3DVF : Autre élément majeur : l’armée qui attaque le château, en partie composée de vrais acteurs et accessoires. Quels étaient les enjeux et difficultés à ce niveau ? Les costumes très colorés, les nombreuses machines de guerre ont-elles compliqué votre travail ?

Philippe : Les scènes les plus complexes en 3d étaient celles avec les Burgondes attaquant le château de Kaamelott, avec cinq phases:  approche du château, enchevêtrement des machines de guerre, embouteillage complet, désenchevêtrement des machines, et enfin position de tir.

Pour étoffer cette armée, il a fallu créer une variété de Burgondes en 3d avec, comme vous le dites, leurs costumes colorés.
Nous avons photographié des dizaines de costumes sur le lieu du tournage et les avons refaits en 3d. Nous n’avons pas retenu les costumes avec des poils longs, ou de longues écharpes pour simplifier les scènes.
Le logiciel Golaem nous a été absolument indispensable pour créer l’armée et pour diversifier les soldats. Les costumes et tous les accessoires (arc+carquois, épées, boucliers, chapeaux) ont pu être répartis aléatoirement.
L’équipe de Golaem nous a mis en contact avec Jean Burtschell, fan de Kaamelott et infographiste spécialiste en foule, qui cherchait la société qui avait le projet.

[NDLR : développé par une société française, Golaem est un outil qui permet de créer et animer des foules virtuelles, ce qui permet de limiter le nombre de figurants sur le tournage. Golaem a été utilisé dans de nombreux films et séries : Game of Thrones, Love, Death & Robots, Black Panther, Spider-Man Homecoming…]

Les soldats n’étaient pas simplement en train de marcher, ils devaient pousser des machines, les manœuvrer dans toutes les directions. Avec l’aide des développeurs de Golaem, et l’expérience de Jean Burtschell et Patrice Vila, nous avons créé des characters spéciaux qui encapsulent à la fois la machine et les Burgondes (animés en mocap et en keyframe).

Il a fallu du temps pour le mettre en place, ça n’était pas gagné d’avance mais ça fonctionnait !

La chorégraphie des Burgondes a été imaginée par Blanca Li, qui vient d’être élue à l’académie des Beaux-Arts, et supervisée par Pierre.
Nous avions plusieurs scènes majeures avec une armée qui se déploie suivant un timing précis.
Avec le mode Layout de Golaem, nous pouvions bouger indépendamment chaque garde pour le positionner où nous le souhaitions. Et il y en a eu des versions !
Au total nous avons truqué 100 plans avec l’armée.

Ci-dessus et ci-dessous : les images tournées, puis l’ajout de figurants et machines.

Pierre : Les équipes de Philippe ont fait preuve de pas mal d’abnégation pour réussir ce challenge et je leur tire mon chapeau. À titre personnel ce que je retiens de ce passage, c’est tout particulièrement le travail des équipes de décoration qui ont réalisé un exemplaire de ces cinq machines de guerre en vrai, fonctionnelles, et qui ont servi de point d’ancrage pour tous les effets visuels que nous avons greffés par dessus. Cet aspect, en ce qui me concerne, était primordial et c’est un aspect que j’ai défendu très tôt, à savoir, avoir un maximum de bases réelles afin de garantir une intégration des VFX la plus crédible possible.

Jusqu’au dernier instant, la gestuelle des soldats n’était pas déterminée. Ce n’est que lors du tournage qu’elle fut réellement arrêtée. Philippe et ses équipes, avec un workflow parfaitement adapté, ont su alors s’adapter et l’incorporer dans les différentes préviz.

Page suivante : conditions de tournage difficiles, effondrement du château, Excalibur, extensions de décors, participation d’autres studios et projets futurs !

2 commentaires

phicata 30 novembre 2021 at 14 h 32 min

Très bien les mentions NDLR, il faudrait systématisé cela, ou mieux avoir un index, qu’alimenteraient éventuellement les lecteurs 3dvf, car même en étant dans le « métier » il y à des fois ou certains termes ou concepts m’échappent complétement (et je ne pense pas être le seul). Ça accentuerait le coté pédagogique de 3dvf. Et bien les volets avant/après interactifs.

Shadows 30 novembre 2021 at 14 h 48 min

Merci ! Pour les volets, on a voulu changer un peu, c’est sans doute plus parlant que d’avoir les images l’une sous l’autre comme on le fait généralement.

Concernant les NDLR l’idée était surtout de permettre aux fans de comprendre de quoi on parle (vu les stats de lecture, manifestement l’article se répand au-delà de la sphère de l’imagerie numérique), mais en effet ça peut aussi servir dans le métier. Pour l’interview Nexus VI/Blender, j’avais utilisé une autre approche plutôt pensée pour les artistes 3D ne maîtrisant pas Blender, avec des liens sur certains termes/noms d’outils qui renvoyaient à l’aide officielle. Il y a peut-être un mix à trouver.

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