Les Croods – Nicolas Weis, visual development artist

3DVF : Ton travail ne s’est pas arrêté à la végétation : tu as aussi travaillé sur la création de collines escarpées, qui semblent être de petits mondes suspendus. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Nicolas Weis : Ces dessins ont une histoire un peu particulière : Christophe avait demandé à Facundo Rabaudi, que j’ai évoqué précédemment, de réaliser un diorama pour montrer aux réalisateurs sa vision de la jungle. Dans le monde de Croods, une pomme qui tombe de sa branche germe avant de toucher le sol : tout est fécond, envahissant, protéiforme. Les arbres poussent sur les branches des arbres qui poussent sur les champignons posés sur le flanc d’autres arbres… etc. Et Christophe m’a chargé du design de cette maquette.

Nicolas Weis pour DreamWorks Animation.

Je suis presque sûr que ce côté « monde suspendu » vient d’une illustration de Franquin du Gaffophone de Gaston Lagaffe. L’appareil de musique démoniaque de Gaston avait été abandonné et peu à peu un véritable petit écosystème s’y était développé. Je ne m’en suis jamais totalement remis, je crois.

J’ai donc travaillé avec Facundo pendant trois semaines, et c’était un moment assez magique, je voyais mon dessin sortir de la feuille et se transformer en une maquette d’un petit mètre de haut. Le moindre des champignons y était, Facundo a même inclus des poissons microscopiques dans la mangrove au pied de l’arbre.

3DVF : Ces petits montages sont notamment visibles dans le travail de layout que tu as fait sur trois plans de paysages escarpés (voir ci-dessus, ci-contre et ci-dessous). Quelle est ton approche pour le layout ?

N.W. : Dans la mesure du possible j’essaie de concevoir l’arbre dans sa forêt, c’est-à-dire que je pense au potentiel cinématographique et tridimensionnel de mes designs. Pour les gorges par exemple il était au début question qu’une partie de la famille chemine sur les hauteurs pendant que Grug s’empêtrait en bas. J’ai donc essayé de voir les relations et les passages qu’il existait entre les deux « mondes », mais aussi leurs histoires respectives. Les hauteurs étaient chaleureuses, luxuriantes, colorées, tandis que le fond des gorges était envahi de ronces, de rochers acérés et ciselé par un lacis de vilains petits ruisseaux.

3DVF : Pour le canyon fruité visible ci-dessous, toute la difficulté est de mettre en valeur des modèles de taille importante, alors même que les plans très larges sont difficiles ou impossibles puisque l’action se situe dans une crevasse. Comment as-tu géré cet aspect, ainsi que le travail sur la composition, la lumière et les contrastes ?

N.W. : J’ai essayé tant que possible de travailler mes formes comme mes lumières en me servant des espaces négatifs : en général, vu l’escarpement du décor, 80 % de l’image sont un premier plan sombre qui met en valeur les 20 % restants où l’action se déroule.

3DVF : Parle-nous un peu de l’illustration de la grotte, avec Grug et un cadrage vertical…

N.W. : Il s’agit de la grotte où vivent les Croods. À l’origine nous avions soumis aux réalisateurs des designs où la grotte surplombait le canyon, perchée au bout d’une étroite épine rocheuse. Mais Chris Sanders insistait pour les faire vivre au fond, nous avons changé notre fusil d’épaule et réfléchi ensemble. Vu qu’au début du film leur vie est aussi misérable qu’ennuyeuse, nous les avons mis non seulement au fond du canyon, mais en plus dans une faille. Et la grotte s’est transformée en éboulis poussiéreux.

J’ai soumis l’idée de recouvrir le fond du canyon de sable très clair afin de pouvoir contrebalancer graphiquement l’abondance de textures des parois rocheuses et d’amener des zones visuellement plus calmes. Le reflet permettait également d’amener de la lumière au fond du canyon. Enfin je me suis dit que ça pourrait accentuer l’aspect dramatique de la scène du tremblement de terre si des torrents de sable se déversaient en remplissant le canyon à la fin du premier acte. Quant au format vertical, je me suis dit que ça s’imposait vu le concept et vu que c’est une pièce de développement c’était l’occasion d’abandonner l’horizontale pour une fois.