Sébastien Potet, rigger/character TD chez PDI/DreamWorks

Sébastien Potet

 

3DVF : En arrivant chez DreamWorks, la transition a-t-elle été difficile ? En quoi le fait de travailler sur des personnages en animation et plus sur des VFX plus  » réalistes  » change-t-il ton approche ?

Sébastien Potet : DreamWorks est une énorme société par sa taille (environ 2500 employés sur 3 studios) et par ses budgets de production (150 M$ par film). Je dois dire que travailler dans une société de cette taille change complètement la donne.
À Framestore, il y avait environ 60 à 80 personnes à travailler sur un projet et on pouvait parfois tous être regroupés au même étage voir dans la même pièce. Multipliez ce chiffre par 10 pour imaginer le nombre de gens impliqués dans la production d’un film à DreamWorks… Et on est amené à travailler avec des gens qui sont dans un autre studio, dans une autre ville et/ou dans un autre pays ! Corriger un problème prend plus de temps et demande beaucoup plus d’organisation.
Je dirais que la transition a été un peu difficile. Dans le VFX, j’avais apprécié la fluidité du travail : un problème peut être réglé en quelques minutes. C’est même vital vu que les productions sont courtes et intenses. À DreamWorks, les productions sont beaucoup plus longues (des années…!) : il faut s’accoutumer d’un rythme plus lent et long. C’est un peu la différence entre un sprint et un marathon en somme.

D’un point de vue purement technique, c’est également complètement diffèrent. Dans le VFX, il s’agit de produire quelques rigs pour une centaine de plans. Un long métrage DreamWorks, c’est 1 h 30 de 3D avec une dizaine de personnages principaux, des foules… Donc il faut produire en quantité, tout en maintenant une qualité optimale ! En tant que rigger, on est souvent amené à travailler sur des outils pour améliorer la fluidité de la chaîne de production et pas seulement sur les rigs eux-mêmes.

3DVF : Quelle est l’organisation au sein de ton équipe ? À quoi ressemble une semaine typique de production ?

S.P. : Ça dépend de l’étape de la production du film. Je suis actuellement Lead face sur Mr. Peabody & Sherman et le rigging est presque fini. Il s’agit donc plutôt de « rig maintenance » (service après vente auprès des animateurs). Corriger, améliorer les rigs pour que les animateurs puissent produire la meilleure performance possible pour chaque plan du film. En tant que rigger, c’est l’étape la plus gratifiante : après la tempête des débuts où il faut produire chaque rig, il ne reste plus qu’à peaufiner les rigs et admirer chaque plan qui sort du département animation !

 

Gloria

 

Gloria

3DVF : Sur Madagascar 3, tu as repris des personnages déjà existants. T’es-tu inspiré des rigs de Madagascar 1 et 2 ?

S.P. : La technologie rigging de DreamWorks avait tellement évolué qu’il a fallu entièrement refaire les rigs de tous les personnages pour Madagascar 3. Évidemment, le rig facial devait produire les mêmes expressions ET contenir les dernières améliorations technologiques du système facial. Ça a été beaucoup de discussions avec le superviseur d’anim jusque dans les derniers mois de production. Le souci principal était que, malgré ces changements, elle ne soit jamais « off model », Gloria ayant une charte graphique bien établie depuis Madagascar 1. Au final, chaque personnage de Madagascar 3 a un éventail d’expressions bien supérieur aux précédents films. Et c’est particulièrement frappant entre Madagascar 1 et 3.

3DVF : Gloria est un personnage assez complexe : elle parle, a de nombreuses expressions… Comment as-tu travaillé sur son rig facial, et peux-tu nous donner quelques informations sur les outils python que tu as développés pour elle ?

S.P. : Je ne peux pas vraiment trop parler du côté technique, les NDA m’en empêchent. Mais ce n’est pas un secret de dire qu’énormément d’outils sont développés en python à DreamWorks. Et, le logiciel de rigging étant développé en interne, on est amené en tant que rigger à développer, tester, améliorer et/ou rapporter des bugs à la R&D. Il y a eu énormément de boulot sur ce système facial et j’ai eu la chance d’ y participer activement.

3DVF : Tu as travaillé sur d’autres personnages très cartoon : rigs complets des éléphants, visages des singes. Quels ont été les points les plus complexes ?

S.P. : Les animateurs ont vraiment poussé à l’extrême les déformations faciales des singes. Il a fallu améliorer certains systèmes pour permettre plus de flexibilité dans les déformations. Je ne peux pas en dire plus, mais disons qu’à chaque production, les outils de déformation à DreamWorks s’améliorent et des nouvelles techniques sont testées. Et un film comme Madagascar 3, avec ses déformations cartooon tellement extrêmes, est un parfait cobaye pour ça ! Ça a été une production particulièrement longue pour le rigging à cause de la variété et surtout du nombre de personnages principaux !

 

Madagascar 3

 

3DVF : Disney a présenté lors du dernier SIGGRAPH son système dRig (évoqué sur 3DVF dans le dossier sur Les Mondes de Ralph  , bas de la première page), avec une approche directement inspirée de la programmation objet, et un système qui permet aux animateurs de retoucher eux-mêmes et facilement les rigs, ou encore de réutiliser les assets d’une production sur l’autre.
Que penses-tu de cette approche, à titre personnel ?

S.P. : Quand vous devez produire 50 personnages et 1 h 30 de film, vous n’avez pas la même approche que s’il n’y a qu’une seule créature à produire pour un nombre limité de plans. L’approche de Disney est certainement la bonne : réutiliser au maximum les assets est tout simplement du bon sens. Rien ne sert de réinventer la roue à chaque production.
Quant aux outils qui permettent aux animateurs de retoucher le rig dans le plan, ça me semble être l’évolution la plus intéressante de ces dernières années. Les animateurs ont besoin de retoucher la silhouette des personnages et il est impossible qu’un rig puisse anticiper toutes les déformations possibles sans devenir une usine à gaz.

Donner aux animateurs la possibilité d’animer la déformation d’un personnage plutôt que de complexifier un rig à l’extrême, c’est une meilleure approche à mon sens.

3DVF : Comment fonctionne le rigging à DreamWorks, à ce niveau-là ? Disposez-vous d’outils semblables ?

S.P. : Je ne peux pas trop en parler, mais comme vous pouvez l’imaginer, DreamWorks a un département R&D qui travaille constamment à améliorer les outils et qui non seulement intègre les dernières évolutions technologiques, mais aussi en est parfois l’initiateur. Chaque année, DreamWorks a une présentation au Siggraph qui permet de voir les dernières avancées technologiques du studio.

 

Elephants

 

3DVF : Quels sont tes principaux points forts à l’heure actuelle ? Inversement, y a-t-il des domaines particuliers dans lesquels tu ne te sens pas encore à l’aise, et/ou sur lesquels tu voudrais développer tes compétences ?

Hum… Difficile de s’ennuyer dans ce boulot. Le rigging est une discipline très vaste, de la programmation à l’anatomie. Je crois qu’on ne finit jamais d’apprendre dans ces domaines.
Et même s’il y a des tâches très répétitives (comme dans chaque boulot !), il y aura toujours un personnage complexe ou inhabituel sorti de l’imagination d’un character designer pour rompre la monotonie !

 

Gloria

 

3DVF : Y a-t-il des avancées techniques que tu attends particulièrement, en tant que Character TD ? De nouveaux outils inspirés de travaux de recherche que tu aurais pu voir récemment, des approches encore peu courantes, mais qui tendent à se développer, ou encore des problèmes récurrents sur lesquels une solution technique serait bienvenue ?
Bref, comment vois-tu les prochaines années, sur le plan technique ?

S.P. : À mon sens, l’évolution majeure que devrait suivre cette industrie, c’est d’adopter le multi threading pour accélérer les rigs. Aujourd’hui, nous avons des ordinateurs avec 4 ou 8 cores alors que beaucoup de logiciels n’en utilisent qu’un seul à la fois. En tant que rigger, nous sommes limités car si un rig descend au-dessous de 10 images secondes, le taux de dépression nerveuse chez les animateurs augmente drastiquement. 🙂
Les logiciels à DreamWorks ont été entièrement réécrits pour intégrer le multithreading. Et la structure même des rigs a été repensée pour permettre une évaluation en parallèle plutôt qu’une longue chaîne d’opération. Je n’ai pas suivi les dernières évolutions de Maya, mais en gros, à chaque interaction de l’utilisateur, le rig est entièrement réévalué partie par partie, l’une après l’autre. Mais pourquoi attendre l’évaluation de la déformation du genou pour évaluer la déformation du coude ? Ces deux déformations ne sont pas interdépendantes.

Le logiciel d’animation de DreamWorks est aujourd’hui capable d’évaluer des rigs en utilisant pleinement tous les processeurs disponibles. Et le résultat est impressionnant : des rigs extrêmement complexes sont littéralement évalués en temps réel (30 images/seconde) et réagissent à la moindre interaction de l’animateur. Et cette technologie n’en est qu’à son début !

3DVF : Sur le plan professionnel, comment veux-tu évoluer dans les années à venir ?

S.P. : Hum…. pas vraiment réfléchi à la chose, mais j’essaye toujours de me tenir au courant de la moindre opportunité ! 🙂

Pour en savoir plus

Le profil LinkedIn de Sébastien Potet.

Réactions à l’interview sur le forum 3DVF.

 

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