Interview : Patrick Hanenberger, Production Designer sur Les Cinq Légendes

Les Cinq Légendes

 


– 3DVF : On imagine que c’est aussi un moyen qui vous a permis d’éviter de tomber sur un rendu qui fasse trop « carte postale » ou « film de Noël », avec les éternels clichés du genre ?

– Tout à fait, c’était clairement l’objectif, éviter les stéréotypes.
Prenons l’exemple du pôle Nord : nous voulions donner un sentiment de majesté, proche d’un glacier alpin, mais il n’y a pas de montagne au pôle. Pour rendre le tout crédible nous avons opté pour une surface plane mais avec un canyon ou une crevasse géante, qui permet d’avoir le lieu en bord de falaise que nous voulions obtenir.
L’édifice utilise du bois, mais il n’y en a pas sur place… Nous avons donc décidé qu’il s’agirait de bois flotté, porté par le courant et la mer, que les yétis collectent et ramènent. North, le père Noël, a grandi en Russie et a aussi des influences turques, ce qui a joué sur l’architecture : les toits en oignons inspirés des églises orthodoxes, mais aussi des éléments rappelant une mosquée. Au final on obtient un lieu qui sort des clichés et a une vraie histoire, une vraie profondeur.

Un autre point important : il n’y a aucun sapin de Noël dans le palais. Nous avons volontairement voulu nous écarter des versions commerciales des fêtes et notamment de Noël, notamment parce que certains pays ne célèbrent pas Noël mais ont une fête centrée sur la fin de l’année ou le solstice d’hiver.
Au lieu de garder les éléments commerciaux, nous avons plutôt voulu conserver les éléments que l’on associe à la fin de l’année : feu de cheminée, temps froid, générosité, partage, tout en laissant de côté le pain d’épice !

 

Les Cinq Légendes
Courtesy of Dreamworks Animation – Paramount Pictures – all rights reserved

 

Les Cinq Légendes
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– 3DVF : Pouvez-vous évoquer l’intérieur du palais de North, qui ressemble presque à une usine ?

– Si on se réfère à l’image montrant le palais en coupe, on peut en saisir le fonctionnement : l’atelier de North (, dans lequel il conçoit les jouets, la grande salle centrale avec le globe. North a un balcon dans son atelier qui lui permet de récupérer des morceaux de glace qu’il sculpte pour concevoir les prototypes. Les Yétis vont ensuite récupérer un prototype, le descendre au sein de l’usine et faire les jouets physiques sur une chaîne d’assemblage. Les lutins ne servent à rien, ils sont un peu comme des « rats » et créent surtout beaucoup de désordre !

En bas on voit une grue qui sert à charger les traineaux : North en a plusieurs, pendant qu’il fait une livraison les Yétis chargent le traineau suivant. C’est presque comme un hangar d’aéroport. On peut voir aussi sur le design le cheminement de l’approvisionnement en matière première pour les jouets.

La majeure partie du système n’est jamais visible dans le film, mais tout est prévu dans le design, tout a un sens et une fonction. J’ai une formation de designer industriel, pour moi la forme suit la fonction : pour obtenir un bon résultat, il faut un but pour tous les éléments.

Les Cinq LégendesCourtesy of Dreamworks Animation – Paramount Pictures – all rights reserved

 

 


– 3DVF : Quelques mots sur le palais de la Fée des dents ?

– Au début nous envisagions un château, un palais, mais ça n’avait pas de sens : pourquoi un oiseau construirait-il quelque chose au sol ? Les oiseaux construisent des nids, en hauteur pour échapper aux prédateurs. Nous avons donc eu l’idée d’une sorte de temple suspendu au plafond, comme ceux des oiseaux-mouches ou des tisserins. C’est un lieu construit par des oiseaux, pour des oiseaux.

– 3DVF : Pouvez-vous revenir sur le Lapin de Pâques et l’endroit où il vit, qui est, je crois, votre lieu préféré dans le film ? Le lieu est beaucoup moins chargé que d’autres endroits visibles dans le film, et ressemble presque à un sanctuaire…

– Mes deux endroits favoris sont celui-ci et le palais de la fée des dents.
Le lieu où vit le Lapin est en quelque sorte le berceau de la vie, de la nature. Tout est calme quand il n’est pas là, il est un peu une sorte de berger, son travail est d’amener les oeufs  la vie, ces petites créatures spirituelles et quasi magiques qui vont ensuite disséminer la vie autour du monde. Le Lapin est véritablement le chef d’orchestre de ce processus, un donne vie au lieu.

Nous voulions donc un lieu solennel et sérieux, qui ne soit pas rempli de vie dès le départ : sinon son rôle aurait semblé vain.

 

Bunny
Courtesy of Dreamworks Animation – Paramount Pictures – all rights reserved

 

– 3DVF : Le personnage lui-même a beaucoup évolué durant la préproduction. Pourquoi cette difficulté à trouver le bon personnage, le bon design ?

– Je pense que l’on retombe sur ce que j’évoquais tout à l’heure, la forme suit la fonction. En termes de character design, cela se traduit par le fait qu’il faut souvent savoir quelle est la personnalité du personnage avant de fixer son apparence. Le Lapin a beaucoup évolué en tant que personnage : d’un scientifique à l’aspect proche d’un prêtre jusqu’à un personnage plus proche de la nature. Le réalisateur et le producteur aimaient vraiment Hugh Jackman dans le film Australia [Baz Luhrmann, 2008, NDLR], avec son aspect d’homme rugueux des grands espaces, presque comme un ranger ou un trappeur. Ce n’est qu’une fois fixés sur cette personnalité que nous avons pu déterminer le design, après beaucoup d’itérations.


Les Cinq Légendes

Courtesy of Dreamworks Animation – Paramount Pictures – all rights reserved

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Bunny
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– 3DVF : Aviez-vous peur que les mondes ne forment pas un tout cohérent, un film avec une certaine unité ?

– Nous avons utilisé différents procédés pour créer une unité entre les univers. L’un d’eux était d’avoir beaucoup d’ornementations graphiques, quel que soit le monde. Tous les univers sont très détaillés, et nous avons même créé une langue, un alphabet pour les gardiens, qui se retrouve dans leurs différents mondes. C’est un peu comme ce que Tolkien a créé avec l’elfique.
L’éclairage et le rendu ont aussi beaucoup participé à l’unité, avec éclairages similaires et des rendus proches en terme de profondeur de champ ou d’atmosphère.

 

Les Cinq Légendes
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– 3DVF : Quelle a été la partie la plus difficile à gérer pour vous, sur ce projet ?

– La complexité. C’est le film le plus complexe créé chez Dreamworks, avec des personnages très différents. Si on prend un film comme, disons, « Nos voisins, les hommes », il y a six personnages et ils ont tous une fourrure. Ici nous avions des personnages très différenciés, il a donc fallu travailler dans différentes directions d’un point de vue technologique pour arriver au bon résultat. Il a par exemple fallu beaucoup de travail pour arriver à un résultat satisfaisant avec la Fée des dents. Mais une fois finalisée, nous ne pouvions pas réutiliser ce travail sur les autres personnages… Le simple fait d’avoir des personnages aussi différents les uns des autres a beaucoup compliqué notre travail.
Autre problème, nous avons près de quarante personnages riggés et animés, entre les personnages secondaires, imaginaires, les enfants… Cela a été un vrai défi.
Enfin, le déplacement constant est une réelle difficulté en 3D : avec une caméra fixe on peut s’appuyer facilement sur du matte painting.

Ici il a fallu faire beaucoup de préviz, modélisation et rendu pour arriver à un résultat satisfaisant en raison des mouvements de caméra.

Le gros défi a donc été d’obtenir un résultat esthétique, tout en travaillant sur leur coût en termes de temps de travail et rendu.

– 3DVF : Maintenant que le film est fini, y a-t-il un détail, un passage sur lequel vous auriez aimé avoir plus de temps afin de peaufiner le résultat ?

– Pas vraiment, par contre j’aurais aimé que le film dure plus longtemps : avec 120 minutes au lieu de 90 environ, nous aurions eu une demi-heure pour aller plus en détail dans les différents mondes. Au final nous avons créé un long-métrage énergique et rempli d’action, avec un voyage permanent… Un peu comme dans un Indiana Jones ou dans « Bandits, bandits ». J’aurais aimé avoir plus de temps… Mais c’est finalement ce à quoi serviront les épisodes 2 et 3, si on a la chance de pouvoir les réaliser !

North
Courtesy of Dreamworks Animation – Paramount Pictures – all rights reserved

– 3DVF : La Dreamworks India Unit a été impliquée sur la production. Quelles étaient vos relations avec l’équipe ?

– Je suis allé sur place pendant deux semaines, ils travaillaient sur trois séquences très complexes, notamment sur l’éclairage. L’équipe est très talentueuse, ce sont des artistes intelligents et très créatifs, c’est un très bon souvenir pour moi.

– 3DVF : Pour finir, comment gérez, organisez et partagez-vous les références au sein de l’équipe ? Avez-vous un système spécifique ?

– Nous avions un serveur organisé de façon thématique, avec un classement par monde et par séquence. Les interactions humaines au jour le jour jouent aussi beaucoup pour le partage.

Pour en savoir plus

– Le site officiel du film.

– Le site de la galerie Arludik.

 

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