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Rencontre avec Sébastien Haure (Stuzzi)

3DVF : Sébastien, la communauté 3DVF et le monde de la 3d en général te connaît sous le pseudonyme de Stuzzi. Merci de passer ce moment en notre compagnie. Peux-tu nous raconter ta découverte avec l’art numérique ou les motivations qui t’ont poussé aujourd’hui à en faire ton métier?

Sébastien Haure : Je ne sais pas si l’on peut parler de découverte, mon environnement personnel a toujours favorisé les arts et l’outil numérique. Tout s’est fait naturellement, le seul déclic fut de comprendre qu’il était possible d’en vivre. Je suis sensible à tout ce qui véhicule une émotion, un univers ou un message profond. La manifestation de la pensée à travers le visuel est un aspect des choses qui me séduit. Si toute création est le reflet de celui qui la compose, je puise alors ma motivation dans la représentation de ce que je suis, mes différences avec le monde qui m’entoure. Mes travaux personnels me permettent d’exprimer ma sensibilité sans entraves. C’est un média qui mélange défis techniques et créativité; il faut continuellement se remettre en question et c’est une bonne leçon d’humilité.

3DVF : Comment s’est passée ta rencontre avec Jean Giraud et pourquoi as-tu accepté ce projet?

Sébastien Haure : J’ai été contacté par Julien Giraud dans le cadre de DHXprod, parce qu’il fallait retranscrire l’oeuvre « Méditation Chimérique » en images de synthèse, tirée de l’album « 40 Pays dans le Désert » pour l’exposition. J’imagine que son choix a dû être difficile, le style de Moëbius est très particulier. Rendre tout cet univers en 3d dans un délai aussi court était une lourde tâche. Je ne sais pas si j’y suis parvenu, mais en tous cas, j’ai pris plaisir à le faire. Quand on est entré au moins une fois dans l’imaginaire de Moëbius et qu’on nous propose de participer à cette aventure, il n’y a qu’une seule réponse possible 🙂 J’ai été surpris par le naturel et la simplicité de Jean Giraud, c’est un grand homme par ses qualités humaines. Je partage beaucoup de ses points de vue. Etant comme l’un des principaux artisans de la bande dessinée, il a d’une certaine manière très largement inspiré le paysage artistique d’aujourd’hui. Ca a été pour moi l’opportunité de m’approcher de ce à quoi j’aspire également, et ce fut un grand honneur. A l’occasion, je penserai aussi à prendre des cours de japonais pour comprendre ce que dit Miyazaki 🙂

3DVF : On pourrait se demander si le rapprochement de deux maîtres comme Moëbius et Miyazaki pourrait raviver la flamme de co-productions franco-japonaises comme nous l’avions vécu dans les années 80 ; qu’en penses-tu ?

Sébastien Haure : Il y a toujours un vrai respect mutuel entre nos deux cultures; oui, les choses pourraient aller dans ce sens… Je me rappelle encore d’une rétrospective dans les années 90 au Palais de Tokyo qui a rendu hommage à l’oeuvre de Paul Grimault, ou bien encore la visite de Maître Tezuka à Angoulême. Mais si les collaborations ont été freinées de cette manière, c’est sans doute que le problème est plus du registre politique et financier que culturel. Si on remet les choses dans leur contexte, à l’époque il n’y avait pas de quota aussi sévère de la part du CSA contre les diffusions étrangères, du coup les co-productions étrangères sont pour le moins tolérées. L’industrie de l’animation n’était pas autant obsédée par la rentabilité, mais plus encline à explorer de nouveaux codes graphiques et d’autres styles de narration. Un facteur important réside aussi dans la considération du dessin animé en France; ici l’animation souffre de l’étiquette « Divertissement pour Enfant », les diffuseurs ratent ici l’occasion de toucher un public plus large et craignent de ne pas rentabiliser leurs investissements. Une telle politique est considérée comme pas assez lucrative pour être intéressante. Aujourd’hui, je regrette la qualité discutable des dessins animés sur les chaînes hertziennes. Cela contribue un peu à la destruction de l’esprit créatif à venir en France. La rencontre des deux maîtres va sûrement donner un coup de pouce et faire réfléchir sur cette condition. Je rêverais que les « Ulysse 31 » et autres « Mystérieuses Cités d’Or » ouvrent la porte à d’autre co-productions franco-japonaises un jour. Mais c’est encourageant de sentir cette volonté avec plusieurs projets à venir comme Mikido, MollyStarRacer,des produtions françaises issues directement de « l’école Japonaise »… Je vois souvent des bibles de qualité inspirées du manga qui ne trouvent pas suffisamment de financement pour être produites.Les adorateurs du manga en France ne sont pas marginaux, ils sont juste mal representés; ils sont dans l’ombre et attendent leur tour. ll faudra attendre quelques années encore pour voir les choses évoluer et voir de nouvelles co-productions. Mais ça viendra à coup sûr!

3DVF : Après avoir exercé ton talent sur de nombreux projets, quelles sont aujourd’hui tes aspirations et tes envies?

Sébastien Haure : Mes envies gravitent autour du challenge et l’envie de créer; j’ai plusieurs projets en tête mais un en particulier me tient à coeur… Mon aspiration est très simple, continuer à vivre de ce que j’aime, collaborer avec des artistes qui affirment une vraie personnalité et ont pour exigence de fournir une qualité, qu’elle soit dans la technique ou dans la singularité de la création. Le collectif Artizanal est là pour exprimer ce concept. Une grande partie des projets sur lesquels j’ai travaillé était très « rigide », je ne me sentais pas vraiment impliqué. Je cherche à exercer avec passion; par expérience je sais que c’est dans les petites équipes qu’on y arrive le mieux. A long terme, je n’exclus pas l’idée de faire de la réalisation ou de superviser des équipes.

3DVF : Que penses-tu de l’évolution de l’industrie de l’animation/sfx française comparé aux industries anglo-saxonnes et américaines, et quelle est ton analyse ?

Sébastien Haure : Je trouve ça dommage… L’industrie en France peine à retrouver son souffle, c’est d’autant plus difficile d’assister à la fuite de nos talents vers l’Outre Manche. Il semble que ce soit souvent une alternative pour trouver une certaine reconnaissance qui est plus difficile à obtenir en France. Les choses n’évolueront pas dans le bon sens tant que les comportements ne changeront pas avec. L’industrie française est aussi confrontée à une concurrence déloyale face à l’effort du gouvernement britannique sur la remise de taxes, ce qui ne manque pas de séduire les producteurs américains. Il n’est pas rare de trouver plusieurs studios britanniques travaillant sur le même film, il y a une « rivalité amicale »qui est très bénéfique pour leur développement. C’est un phénomène que je ne retrouve pas en France. Ces mêmes studios sont concentrés dans un même quartier populaire de Londres et bénéficient d’une excellente communication qui rend les échanges avec les U.S très efficace. Malgré tout, je pense que l’industrie française a le potentiel pour connaître le même succès, reste encore à l’exploiter ! Bon nombre de postes-clefs occupés dans les studios à l’étranger sont français. Vue la qualité des productions françaises comparées aux petits budgets alloués, je reste persuadé qu’elles restent l’une des ressources les plus créatives et talentueuses au monde. La France est le pays de la culture, son industrie ne peut qu’aller dans un meilleur sens,et je suis fier d’en faire partie.

3DVF : As-tu un petit mot à faire passer à l’équipe et à la communauté, pour les encourager à visiter l’exposition ?

Sébastien Haure : C’est un évènement de voir ces deux maîtres de l’art se dévoiler ainsi dans une même exposition à travers plus de 300 oeuvres. Le thème de l’exposition se situe au carrefour de deux cultures opposées, un savant mélange qui s’avère être une puissante alchimie. La communauté 3DVF est directement impliquée dans ce grand métissage, l’art numérique se doit de puiser son inspiration parmi les autres disciplines comme le dessin,la peinture, etc. Je pense que tout le monde se laissera surprendre devant tant de poésie et se laissera submerger par tous leurs univers… A ne pas rater !

3DVF : Sébastien, merci pour ce temps que tu nous as accordé. A très bientôt, peut-être dans un couloir de l’exposition!

Sébastien Haure : Merci à 3DVF pour cet entretien et merci également à DHXprod; bravo à toute l’équipe organisatrice (Charles Denis, Cedric Houplain, Aline Laguerre, Julien Giraud, Stéphanie Dargent).

Pour en savoir plus sur Sébastion Haure, visitez son site internet : https://stuzzi.free.fr/

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