3DVF : Passons maintenant à la scène de destruction du mur… Lucas Janin : J’ai travaillé sur les deux plans : l’explosion du mur vue de l’extérieur, puis dans le bâtiment, avec l’effondrement. Il faut aussi savoir qu’au départ le trou était plus gros, cela a été approuvé par le VFX supervisor et le production designer, ce qui amenait plus de lumière et donnait du détail avec une backlight sur les débris lors de la vue dans le bâtiment. Mais Jeffrey Katzenberg a trouvé le résultat trop dramatique et on m’a donc demandé de réduire l’explosion vue de l’intérieur de 50%… Le jour de la livraison, ou la veille. Du côté externe, par contre, le plan n’a pas changé. |
3DVF : Comment sont animés les débris ? L.J. : J’ai utilisé une surface Nurbs est déformé par des expressions mathématiques, et qui crée l’onde de choc que l’on voit dans la vidéo : les débris sont contraints par cette surface. Il suffit donc de passer une onde sur la surface Nurbs pour piloter les pièces. Ces dernières sont ensuite libérées sous certaines conditions. En fait j’ai même trois surfaces Nurbs sur le même principe, mais avec des comportements légèrement différents pour la première couche de crépis, les débris et le bois qui résiste plus. 3DVF : As-tu utilisé sur ces deux plans la méthode que tu évoquais plus haut, en reprenant la même simulation/animation sur les deux caméras ? L.J. : Tout à fait, j’ai en fait testé ma méthode sur ce plan avant de faire le bateau. Il n’y a en fait qu’un seul plan, les données sont copiées entre les deux et seul le timing de la caméra est ajusté. |
Ci-dessous, reprise de la vidéo montrant les plans sur lesquels Lucas Janin a travaillé :
– à 0:34, le début du plan de destruction externe ;
– à 0:38, la destruction vue de l’intérieur ;
– à 0:44, la découpe de légumes ;
– à 0:47, la vue panoramique dans les nuages.
3DVF : Peux-tu parler des objets qui s’écroulent, dans le plan à l’intérieur du bâtiment ? L.J. : J’avais des assets pré-cassés mais très grossièrement, et je devais avoir quelque chose comme seulement six assets. J’ai donc re-brisé les modèles, je les ai tournés dans différentes directions pour donner plus de variété. |
3DVF : Le relief a donc un impact sur ton travail ? L.J. : Effectivement, on peut moins « tricher ». Un mauvais cut-out, un défaut masqué par la 2D saute littéralement aux yeux en relief. Le problème encore plus gênant peut être la présence d’un décalage, d’un problème sur un layer pour un des yeux : on ne le voit pas forcément sur le moment, on sent juste qu’il y a quelque chose qui ne colle pas. |
3DVF : Tu as aussi réalisé un plan de découpe de légumes… L.J. : Oui, c’était pour l’apprentissage d’Houdini ! [NDLR : Rappelons que Side Effects et Dreamworks ont annoncé l’an dernier que le studio adoptait le logiciel en interne] Le film m’a d’ailleurs permis de faire en douceur la transition depuis Maya, que je n’ai pas ouvert depuis un bon moment. Pour revenir au plan, j’avais juste l’animation avec le mouvement du légume. J’ai récupéré un modèle précoupé, sachant que les rondelles ne correspondent pas au mouvement de la lame, sinon on n’aurait pas assez de tranches : la première fois que le couteau s’abat sur le légume, par exemple, trois tranches sont créées ! Il aurait fallu animer à 100 images par seconde pour avoir quelque chose de cohérent. L’autre solution aurait été de réduire le nombre de tranches, mais les morceaux auraient été trop gros. |
3DVF : Le dernier plan est une vue panoramique d’un paysage nuageux ; quel a été ton apport sur cette scène ? L.J. : Ce plan a servi pour le teaser du film. J’avais un dessin m’indiquant la position prévue pour les nuages, et quelques surfaces NURBS dans la scène pour me guider. J’ai construit un système pour créer des nuages dans un volume donné. Le travail a duré deux semaines, ce qui est très court, un vrai challenge… Avec 80-95h de travail sur chacune de ces deux semaines, contre 45 à 50 en temps normal ! Il y avait donc une certaine pression, d’autant plus que le production designer était vraiment très attaché au monde de Kung-Fu Panda : il s’agissait donc de vraiment réussir ce plan qui donnait le ton, puisque présent au début du premier teaser du film ! Le fait de communiquer avec les équipes de modeling, matte painting et lighting était très intéressant ; je n’étais plus dans la chaîne hiérarchique conventionnelle, il y avait une équipe plus resserrée. J’avoue aussi qu’avoir un retour très positif du production designer sur ce genre de plan est vraiment valorisant. |
Ci-dessous, deux images du plan nuageux suivies du teaser dans lequel il a été utilisé.
3DVF : En plus de ces deux semaines très serrées, tu as eu une longue période de crunch time : concrètement, comment le gères-tu ? Qui décide des horaires ? L.J. : La gestion du crunch time se fait au cas par cas ; il y a eu des essais pour faire revenir tout le monde le samedi, mais ça n’est pas efficace, tous les employés n’ayant pas la même charge de travail à un moment donné. |
3DVF : Comment arrives-tu à concilier ces horaires avec ta vie personnelle ? L.J. : [rires] J’aime mon travail, donc les longues heures de boulot m’apportent une grande satisfaction. Par contre, clairement, c’est difficile pour la famille. Pour Puss in Boots par exemple, j’ai passé l’été à Dreamworks, et j’étais en plein dans le projet la semaine de la rentrée de ma fille à l’école… 3DVF : Quel est ton ressenti global sur le studio ? |
3DVF : Comment vois-tu ton évolution dans les années à venir, en termes de compétences ? L.J. : Jusqu’ici j’avais surtout travaillé sur des destructions, et j’ai récemment travaillé sur des plans avec de l’eau : j’apprécie moins pour le moment, je préfère le procédural (qui me donne un contrôle total) à une simulation qui nécessite de changer trois paramètres puis d’attendre 30 minutes de calculs, pour recommencer à nouveau juste après… Mais j’apprends ! 3DVF : Aurais-tu des conseils pour les débutants qui voudraient s’orienter vers les FX ? L.J. : Que ce soit pour les FX ou pour le reste, l’essentiel reste d’avoir une bonne démoreel. Peu importe la formation en école ou autodidacte. J’avais publié sur mon site deux articles qui peuvent également intéresser les débutants : l’un sur la recherche de travail qui revient notamment sur la démoreel, l’autre sur comment apprendre les effets. La pratique est capitale : par exemple, tomber au cinéma sur le plan d’un camion tombant d’un pont et le refaire chez soi. Sans compter qu’avec les réflex numériques filmant en HD en très bonne qualité, tout devient très simple. Refaire des plans issus de films, ou en créer à partir de rien, aide beaucoup. |
Le but n’est pas forcément de faire des plans parfaits, peu importe la qualité de modélisation ou de lighting, il faut se concentrer sur les effets : à la rigueur le camion pourrait être tout bêtement gris avec une simple passe d’ambient occlusion. L’objectif est de prouver que l’on a les capacités pour faire les choses. Il faut avoir des rêves tout en étant réaliste, avancer dans la bonne direction et, évidemment, travailler dur. Un autre conseil, ne pas hésiter à montrer son travail sur les forums, par exemple la section WIP sur 3DVF, pour avoir des retours. Ne pas hésiter non plus à demander autour de soi : en Espagne j’avais lancé un Maya user group, nous nous réunissions une fois par semaine et apprenions ensemble le logiciel en échangeant nos astuces. Le réseautage est enfin très important : sans l’ami qui m’avait prévenu pour le salon de l’emploi je ne serai pas entré à Dreamworks. Le job que j’ai eu à Meteor Studio est aussi issu d’un contact. Que ce soit en réel ou via les forums, il faut discuter, partager sa passion échanger et ne pas rester dans son coin ! Sans oublier qu’aider les autres est un bon moyen pour, par la suite, obtenir soi-même de l’aide de ses contacts. |
3DVF : Quels sont les films qui t’ont marqué récemment, sur le plan des FX ? L.J. : J’aime beaucoup les films à gros effets, même s’ils sont souvent dénués de scénario. 2012, par exemple, avait des scènes impressionnantes ; Transformers est mauvais mais a de très bons FX. Les effets de Tintin ou Rango m’ont également beaucoup plu. Ce que j’aime de moins en moins dans le cinéma actuel, par contre, ce sont les films utilisant des coupes très rapides, ce que met bien en avant un petit reportage de Matthias Stork sur le « chaos cinema » : les effets sont moins mis en valeur avec un tel montage. |
Pour en savoir plus – Le blog de Lucas Janin, Entre réel et Numérique. Sur son site principal, vous trouverez notamment son book 3D et ses travaux photo. |
Ci-dessous : les deux vidéos de Matthias Stork sur le Chaos Cinema,
auxquelles fait référence Lucas Janin dans la dernière question.