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Doug Chiang


— Interview exclusive pour 3DVF —

Interview de Doug Chiang
Directeur Artistique et Designer

 

 

3DVF : Bonjour Doug, merci de nous accorder de votre précieux temps pour cette interview.
Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours universitaire et votre histoire personnelle?

 

Doug Chiang : J’ai grandi dans une petite ville de campagne, à Taïwan. Quand mes parents ont emménagé dans le Michigan aux Etats-Unis, j’ai eu du mal à m’intégrer à cette nouvelle culture, et j’ai trouvé refuge dans le dessin. J’étais très timide à l’école, et le dessin est devenu une solution pour m’exprimer sans pour autant parler 😉 . Enfin, j’ai découvert que j’avais un penchant pour cette discipline, et je me suis fait des amis à travers l’art.

Plus tard à l’université, je suis tombé dans une classe de production cinématographique. Cette classe a changé mon point de vue concernant le dessin et l’art. La production cinématographique m’offrait une occasion unique de faire avancer mon travail artistique. Je pouvais raconter une histoire avec de la musique, de l’action et des rebondissements. Etant le petit timide, je n’avais pas beaucoup d’amis avec lesquels partager ma passion, donc j’ai créé ma propre série de personnages en pâte à modeler. C’est ainsi que j’ai découvert l’animation. Je me suis découvert une passion pour l’animation image par image et depuis ce jour, j’ai voulu devenir le prochain Ray Harryhausen!

Je n’ai pas de formation artistique à proprement parler, mais j’ai étudié en production cinématographique à l’UCLA (University of California, Los Angeles).


3DVF : Comment s’est déroulé votre rencontre avec l’image de synthèse?

Doug Chiang : Après l’université j’ai fait beaucoup de films que je soumettais à des festivals de films. Durant l’un d’eux, il y a eu la projection d’une animation d’une société d’images de synthèse appelée Digital Production. Ces images étaient vraiment étonnantes. A ce moment-là j’ai réalisé que l’animation image par image était une forme d’art dépassée et ma carrière en tant qu’animateur s’est arrêtée avant-même qu’elle ait commencé.

Peu après ce festival je passais des entretiens pour faire des storyboards sur différents films. L’un de ceux qui m’avaient fait passer ces entretiens a aimé ce que je faisais et a suggéré que je contacte cette nouvelle société. En l’occurrence cette société se trouvait être Digital Production, dont j’avais vu le travail auparavant. J’ai eu un entretien le jour suivant, et j’ai été engagé comme Réalisateur et Designer pour des publicités en synthèse pour la télévision. Ma première réalisation de pub en synthèse a été le logo original d’ouverture pour la première de l’émission d’Oprah Winfrey. C’était en 1986. 

 

 

3DVF : Pouvez-vous nous raconter sur quel film d’animation vous avez travaillé à ILM?

Doug Chiang :
Mon premier film a été Ghost. C’était une petite production pour ILM mais pour moi, c’était énorme et très impressionnant. C’était mon premier véritable film où j’avais la position de directeur artistique chez ILM. Depuis l’âge de 15 ans je lisais des articles sur ILM et, étant un gros fan de Star Wars, je connaissais tout de ceux qui avaient travaillé dessus. Et là, j’allais collaborer avec eux, à la direction artistique! C’était effrayant. Par chance, tout le monde a été super, et m’a mis à l’aise. Ce film a été une bonne expérience. Après Ghost j’ai continué à travailler sur T2, Mask, La Mort Vous Va Si Bien, Forrest Gump, Dans La Peau d’une Blonde, Jumanji et bien d’autres dont je ne me souviens pas pour le moment.

 

 

3DVF : Quel a été le périple pour parvenir au poste de Directeur Artistique sur Star Wars Episode I ? Est-ce un grand défi que de travailler directement avec George Lucas ?

Doug Chiang : Pendant que j’étais chez ILM j’étais toujours en train de m’efforcer d’améliorer mes compétences, comme artiste et designer. J’étais satisfait du travail que je faisais chez ILM, mais une partie de moi ressentait le besoin de continuer à évoluer. Après cinq années, je me sentais un peu stagner au niveau de mes compétences. Alors j’ai pris sur moi pour avancer. Je me suis fixé un emploi du temps pour designer et peindre un nouveau projet et ce, chaque weekend, en prenant sur mon temps libre. Chaque nouvelle planche repoussait les limites de mes possibilités. C’était vraiment une bonne façon de m’entraîner, et c’est devenu ma formation artistique personnalisée. J’ai maintenu cet emploi du temps pendant trois mois.

 

 

 

 

Peu de temps après j’ai appris que George Lucas commençait à travailler sur Star Wars. Ils prenaient des dossiers pour le nouveau département artistique. J’ai su que c’était le moment que j’attendais depuis longtemps. C’était le moment idéal pour moi car je me sentais confiant concernant mes compétences, au vu de mon travail personnel. Néanmoins j’étais encore angoissé de savoir si je convenais ou pas. J’ai envoyé mon dossier, comme des centaines d’autres, et prié pour que quelque chose attire l’attention de George. Et par chance, c’est arrivé!
Avoir ce poste a été l’une des plus grandes joies de ma carrière, mais aussi l’une des plus terrifiantes. Le plus grand défi, dans le fait de travailler avec George, était de surmonter mes incapacités et de faire de mon mieux. Je savais que la pression allait être de taille et les exigences difficiles, mais je voulais me prouver que j’en étais capable. Je finissais de travailler bien au-delà des horaires normaux, 8:00 – 19:00, et je travaillais souvent tard dans la nuit et les weekends. Je m’étais lancé le défi de faire de mon mieux et je voulais être sûr que si j’échouais, ce ne serait pas parce que je n’avais pas fait d’efforts.



3DVF : Pouvez-vous nous décrire l’ambiance dans l’équipe d’Episode I?


Doug Chiang : L’équipe de l’Episode I était l’un des meilleurs groupes d’artistes et de designers. C’était les meilleurs de l’industrie et nous formions une grande famille très unie. Nous nous aidions souvent les uns les autres. Il n’y avait pas d’égoïsme ou de compétition entre nous. Ce que nous aimions faire, c’était dessiner et designer. Et avoir l’opportunité de travailler avec George était exceptionnelle. Pour moi, ces trois années de pré-production ont constitué la meilleure école d’art et de cinéma.



3DVF : Pouvez-vous nous en dire un petit peu sur l’Episode II, ou bien c’est classé top secret? : )

Doug Chiang :
Je ne peux pas beaucoup en parler 😉 . Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y aura plein de bonnes surprises. Le public va adorer. Dans l’Episode II on voit l’évolution des personnages et leur découverte des éléments du Côté Obscur… Après, je ne peux vraiment pas en dire plus ;).

 

 


3DVF : Quels sont les artistes ou les cultures qui inspirent votre design, comme les statues africaines ou autres…?

Doug Chiang : Il n’y a pas d’artistes ou de cultures qui m’inspirent spécialement, TOUS m’inspirent! J’aime la variété, et j’essaye d’en apprendre le maximum sur les différents artistes et cultures. La vie sauvage, les Westerns, l’aviation, la navigation, et les paysages dans l’art sont mes influences. J’aime particulièrement les peintres classiques. La qualité de l’éclairage et la composition de leurs oeuvres sont terriblement inspiratrices.
Je sais en tant qu’artiste que je ne pourrai jamais devenir aussi accompli que je le voudrais. J’ai beaucoup de limites que je m’efforce de dépasser tous les jours. J’espère seulement devenir assez compétent pour faire passer mes idées et en profiter pleinement. Pour l’instant, c’est encore un obstacle, mais je me plais ainsi. L’obstacle m’assure que j’apprends et que j’évolue. Peut-être est-ce mon côté masochiste? 😉

 

 

 

 

3DVF : Comment en êtes-vous arrivé à créer votre propre studio de création?


Doug Chiang :
L’idée de mon propre studio est née de la nécessité d’essayer de faire beaucoup de choses en même temps. J’aime collaborer avec les autres car c’est comme cela que les idées s’améliorent. J’adore m’entourer de personnes extrêmement talentueuses. L’énergie produite dans un tel environnement créatif est fabuleuse. Avec mon studio je tente de capter un peu de cette énergie créative.

 

 



3DVF : Quelles sont les motivations qui vous poussent à continuer dans votre travail, et à poursuivre dans la voie des SFX et de l’image de synthèse ?

Doug Chiang : Mes motivations sont nombreuses, et très personnelles. C’est grâce à mon évolution personnelle et à la volonté de devenir le meilleur designer et artiste possible. Je sais qu’il est impossible de devenir le meilleur artiste, mais je peux le faire pour moi. Ce sont ce but et ce besoin d’apprendre constamment et de perfectionner mes compétences qui me motivent. Plus j’apprends, et plus je m’aperçois qu’il y a encore un long chemin à faire, et que je n’en ai fait qu’une toute petite partie.

A propos de la question de savoir pourquoi j’aime l’image de synthèse, je suppose que c’est le garçon de 15 ans qui est encore en moi qui voulait faire des films à la base. Je suis attiré par les image de synthèse et leur potentialité illimitée dans la production de films car, comme dans la peinture et l’art, on n’est limité que par son imagination (et le budget ! 😉 )

 


3DVF :
Pouvez-vous nous parler un peu de votre projet personnel Robota ?

Doug Chiang :
Robota est un projet que j’ai développé pour tester les limites de mes capacités. Tout comme le fait de m’imposer le travail de la peinture évoqué plus haut, Robota est né de mon désir de continuer d’apprendre. C’est un scénario que j’ai écrit et designé pour mettre en valeurs mon évolution dans une structure spécifique.


Robota parle des problèmes communs que l’on trouve dans la littérature de Science-Fiction, au sujet de l’humanité et des robots, du conflit entre la nature et la technologie. L’histoire est novatrice, mais les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui. De plus, j’adore les robots géants et les dinosaures!
Je suis actuellement dans la dernière phase de la constitution de mon art book. Durant ces deux dernières années, ma vie s’est déroulée entre le travail sur Star Wars le jour, et sur Robota la nuit et les weekends. Pour vous donner un ordre d’idée, j’ai fait 58 planches, et il ne m’en reste plus que 12 à faire avant la date butoire en Octobre! Ca a été vraiment dur d’essayer de faire cela en même temps que Star Wars, et je serai soulagé quand cela sera fini. Le book sera publié par Callaway et sortira l’été prochain.

Finalement je ne sais pas ce que donnera Robota au-delà du book. Pour l’instant c’est un livre d’art et une nouvelle. Peut-être plus, dans le futur… 🙂

 

 

3DVF : Aujourd’hui, quels sont les défis technologiques et techniques sur lesquels vous travaillez?

Doug Chiang : Ces défis sont toujours les mêmes qu’avant. Toujours rendre les outils plus maniables et plus rapides. Au fur et à mesure que la technologie avance, les attentes avancent aussi. Celles-ci vont continuer à évoluer à la même vitesse, donc les défis restent les mêmes. Le travail fourni aujourd’hui est étonnant. Les outils ne cessent de s’améliorer, et les moteurs de rendu de devenir de plus en plus rapides. Mais le but du fait que nous utilisions ces nouvelles technologies reste le même. Ce ne sont que des outils à la disposition des artistes.

 


3DVF :
Croyez-vous à un film réaliste entièrement en images de synthèse?

Doug Chiang : Oui, bien sûr! un film tout en images de synthèse va devenir une forme d’art, une forme de production qui lui sera propre. Cela ne va pas remplacer les films avec de vrais acteurs ou des films d’animation, cela va créer une nouvelle catégorie d’animation.

3DVF : Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous impressionne dans les domaines technologiques et artistiques?

Doug Chiang : Leur avance considérable, aussi bien concernant la technologie, les outils et les talents. Le domaine du talent est incroyable! Je suis abasourdi pas la compétence de tous ces nouveaux artistes.

 


3DVF : A ce jour vous représentez une sorte de « gourou » pour les jeunes infographistes en quête de réussite. Que leur conseilleriez-vous?


Doug Chiang : Je leur conseillerais de ne pas se laisser séduire par les outils (informatiques ou traditionnels). Ce ne sont que des outils, et si vous ne connaissez pas la raison pour laquelle vous les utilisez, alors vous avez échoué. J’essaye d’encourager les gens à apprendre d’abord les bases, celles du vrai dessin et du design, la théorie et la composition des couleurs, choses qui sont enseignées les premières années dans les écoles d’art. Vous ne pouvez jamais les maîtriser complètement. Vous avez besoin d’apprendre à dessiner. Une fois que vous avez acquis ces bases, continuez à travailler dessus le reste de votre vie.
Je pense que l’art est un processus continuel. Vous devez l’exercer chaque jour. C’est de vous, en tant qu’artiste et designer, qu’il s’agit, et non des outils. On peut apprendre les techniques, et à se servir des outils, mais apprendre à être un artiste, cela peut prendre une vie entière. C’est un vieux cliché.

L’objectif principal est de faire du mieux que vous pouvez, et ne jamais être entièrement satisfait. Continuez à apprendre, à vous efforcer de faire plus, à vous pousser jusqu’au bout de vos limites. Vous avez besoin d’être votre propre concurrent et critique. ;o)



3DVF : Doug, merci de nous avoir fait profiter de ces paroles. L’équipe de 3dvf vous souhaite une exellente continuation tant pour Robota que pour votre avenir créatif.


 


Doug Chiang Studio

 



ROBOTA

 



Réalisation : 3DVF
Traduction : Virginie Griffonnet
Avec l’aimable collaboration de
Jérome Desvigne

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