Ecran d’Epingles : retour sur une technique d’animation atypique avec Alexandre Noyer

Ecran d'Epingles

3DVF : Un autre aspect fascinant des écrans est l’utilisation d’outils très variés pour travailler les épingles. Ampoules, rouleaux, gadgets divers… Quels objets font de « bons » accessoires, et quel est l’intérêt d’en utiliser autant ?

Alexandre Noyer : En fait on est en perpétuelle recherche de nouveaux outils. Dès que je vais dans un vide-grenier je scrute tous les objets en me demandant ce qu’ils donneraient sur l’écran d’épingles.

Il y a 3 familles d’outils :
Tout d’abord, ceux qui glissent sur les épingles : en verre, porcelaine ou faïence comme les ampoules, les bouchons de carafe, les galets de verre, les poignées de porte en faïence, les cuillères chinoises. Comme ils glissent sur le métal on peut tracer avec ou frotter les épingles pour dessiner ou colorier (en nuance de gris). Il faut que les objets soient légèrement arrondis pour mieux glisser.

La 2eme famille ce sont les objets qui roulent : rouleaux en caoutchouc/plastique. Ils appuient sur un nombre réduit d’épingles à un instant donné, et vont donc facilement se déplacer sur l’écran.

Ils permettent eux aussi de faire des tracés, mais aussi de créer des textures répétitives si le rouleau est gravé. Je me suis par exemple fait des rouleaux à l’imprimante 3D qui vont donner des textures géométriques intéréssantes (fractales, cercles concentriques, etc…).

La 3ème famille regroupe les tampons en caoutchouc ou plastique qui vont laisser une empreinte.

Ce qu’il faut éviter c’est tout ce qui est en bois ou matière peinte, car on risquerait de laisser des copeaux dans l’écran d’épingles. A éviter également, les objets trop pointus qui risquent de rayer l’écran d’épingles, ou métalliques car il vont user les épingles.
Pour les empreintes, l’outil idéal doit avoir une profondeur de gravure entre 0 et 5mm pour profiter de toutes les nuances de gris. Plus que 5mm on ne les verra pas et moins que 5mm cela pourra fonctionner mais à condition de ne pas enfoncer l’objet à fond sinon il écrasera ses propres empreintes.
Les objets arrondis permettent lorsque l’on appuie des faire des degradés de gris un peu flous et de donner une image cotonneuse et a contrario un objet avec un bord net donnera une image très nette. On peut donc jouer dans la même image avec ce genre de contraste.

Ci-dessous : quelques outils utilisés lors d’un des ateliers d’Alexandre Noyer.

Ecran d'Epingles

3DVF : Quelles sont les contraintes d’utilisation, notamment sur le placement de l’éclairage, le transport ou l’entretien ?

Pour avoir le meilleur rendu il faut travailler dans une pièce dans la pénombre, avec un seul éclairage orientable. Dans le brevet d’invention de Claire Parker la description de l’écran parle de quatre sources lumineuses, mais j’ai testé et c’était très compliqué à régler. A l’usage, très vite Alexeïeff n’a utilisé qu’une seule source.
Les trous et donc épingles sont disposés en quinconce ce qui veut dire qu’il y a la même distance entre toutes les épingles. On va donc positionner son éclairage de manière latérale afin que l’ombre d’une épingle complètement sortie aille jusqu’à l’épingle suivante dans la diagonale mais sans la dépasser. Ainsi on ne perd pas de résolution et une fois l’éclairage étalonné, dès que l’on déplace une épingle on change de nuance de gris. L’angle d’éclairage est important pour que les ombres se couvrent parfaitement quand on veut faire un noir complet.

Une fois étalonné on ne touche plus à l’éclairage sauf à vouloir faire un peu d’expérimental et tester des effets.

Pour le transport, mes écrans sont solides et pas trop lourds  (4kg pour un écran de 26 000 épingles et 9kg pour un écran de 100 000 épingles) donc dans une valise c’est possible.
Pour les fixer il suffit d’une table est de deux serre-joints.

Pour l’entretien il faut changer de temps en temps les épingles tordues car elle coulissent moins bien, voire bloquent. Pour cela rien de plus simple, on retire l’épingle et on en place une autre à la place. Pour la mousse qui sert à la résistance on peut la changer au bout de quelques années sans avoir à retirer toutes les épingles pour les réinsérer ; je l’ai déja fait sur un écran pour tester une mousse moins dense, l’opération m’a pris une heure.

Ecran d'Epingles
3DVF : Claire Parker et Alexandre Alexeïeff devaient utiliser des méthodes traditionnelles pour leurs projets animés, avec de la pellicule argentique. De nos jours, le numérique apporte une plus grande facilité d’usage… Quelques mots à ce sujet, et notamment sur ton utilisation du logiciel Dragonframe ?

Oui en effet il utilisaient des caméra Bolex avec un déclencheur pour que le moteur de la camera n’avance que d’un photogramme à chaque fois. Il était donc impossible de voir le résultat avant le développement.

Dragonframe permet en effet de contrôler les appareil de type réflex numérique, avec aperçu en direct sur l’ordinateur.

Un système de pelure d’oignon permet même de mélanger l’aperçu en direct avec les images déja prises, c’est très pratique pour décomposer un mouvement  et voir si les intervalles sont bons. On peut aussi faire jouer le film directement, changer le nombre d’images par seconde et même éditer les images.

De plus, Dragonframe permet d’utiliser une vidéo en référence et donc toujours avec la pelure d’oignon de voir en transparence l’image de cette vidéo image par image : on peut donc aussi faire de la rotoscopie, par exemple.

Le seul inconvénient du travail avec référence c’est qu’il faut dessiner depuis l’avant de l’écran : si on dessine depuis l’arrière on ne voit pas où sont nos mains et outils, et la référence ne sert plus a rien  ; il faut y aller à tâtons.

Ci-dessous : la pelure d’oignon sous Dragonframe, avec l’image précédente superposée au point de vue courant de l’appareil photo (ici, Alexandre Noyer est en train de modifier l’image sur l’écran d’épingles).

Ecran d'Epingles
3DVF : On peut imaginer de nombreuses modifications et expérimentations avec cette technique, quitte à sortir des traditions : sources lumineuses colorées ou multiples, spots, relief, pourquoi pas aussi utilisation avec du compositing pour faciliter les plans complexes ou même assembler côte à côte plusieurs prises de vue et ainsi augmenter la taille de l’écran… As-tu fait quelques essais atypiques de ce genre ?

Oui, j’aime expérimenter j’ai donc en effet essayé d’utiliser des spots RGB à LED contrôlés par une télécommande pour changer la couleur en cours de route, de placer plusieurs spots voire des bandeaux à LED pour donner une ambiance spécifique à un endroit de l’écran d’épingles.

Michèle Lemieux, qui travaille actuellement sur le NEC vendu par Alexeïeff à L’ONF, à fait du compositing dans son premier film Le grand ailleurs et le petit ici [NDLR : voir le film page précédente] et cela fonctionne bien. J’ai vu une conférence à New York  pour le festival Animation First organisé par le Fiaf (French Institute Alliance Française) qui faisait un focus sur l’écran d’épingles (j’étais venu y faire des ateliers d’écran d’épingles) ; Michèle Lemieux y a montré quelque extraits de son film en cours et justement elle y expérimente de nouvelles choses autour de l’éclairage.

Jacques Drouin, son prédécesseur sur cet écran, avait aussi fait de nouvelles choses concernant la couleur ou l’utilisation de videoprojecteurs sur l’écran d’épingles.

Moi j’ai juste fait des images que j’ai prises en photo avec différents éclairages de couleurs variées, avant d’assembler le tout comme si c’était la même image. Néanmoins j’ai beaucoup d’envies et idées, je manque juste un peu de temps pour les tester. J’ai aussi essayé de prendre des photos macro des épingles, en me placant en biais par rapport l’écran à plat pour faire une animation ressemblant à une mer d’épingles. je m’interesse par ailleurs à la stéréoscopie voire à l’auto-stéréoscopie. Il faut que je me fabrique un slide pour faire des essais, ou même un rail semi circulaire pour déplacer la lumière entre deux images.

Atelier d’écran d’épingles à la Gaîté Lyrique from Alexandre NOYER on Vimeo.

3DVF : Pour les artistes qui souhaiteraient s’essayer à la technique, tu proposes de l’achat et de la location. Peux-tu nous en dire plus ?

En 2016 j’ai monté ma société pour promouvoir cette technique et je propose en effet de refabriquer et de vendre ou louer des écrans d’épingles pour des réalisateurs, écoles, productions, instituts afin de démocratiser cette approche trop peu connue. Je fais aussi des conférences, des ateliers pratiques et des démonstrations [NDLR : ci-dessus, la vidéo d’une de ces démonstrations]. J’ai un site et une page Facebook où l’on retrouve toutes mes coordonnées : il suffit de me contacter. J’ai fait  pas mal d’ateliers en France lors de Festivals, mais aussi en Italie, en Belgique, et même dernièrement à New York.

Il y a un film, Jim Zipper qui a été fait sur mon écran par le réalisateur québécois Alexandre Roy à Genève en 12 jours lors d’un Kino Kabaret. Le film tourne bien en festival il a été à Ottawa, Montréal, Athènes, Meknès et sera projeté dans quelques jours à Annecy. C’est énorme pour moi, car l’écran à été fait ici à Annecy, dans ma ville avec des amis, et de voir qu’un film fait sur cet écran va passer sur les grands écrans est le meilleur cadeau que je pouvais faire à tous ceux qui m’ont aidé à le fabriquer.

Ci-dessous : extrait du court-métrage Jim Zipper

JIM ZIPPER, Alexandre Roy (extrait) from Vidéographe on Vimeo.

3DVF : Envisages-tu aussi de proposer des kits à monter soi-même, qui pourraient offrir un prix réduit pour les personnes prêtes à passer de longues heures à assembler le tout ?

Oui j’y pense de plus en plus. J’ai même commencé à proposer des mini kits d’écrans d’épingles à monter soi-même (900 épingles pour un écran de 6cmx6cm ) ; on peut expérimenter un peu avec. J’ai vu que cela fonctionnait bien et d’autres personnes  m’ont demandé si je n’avais pas de version entre le mini-kit à 900 épingles et le grand à 100 000 épingles tout monté, qu’il ne peuvent acheter pour des raisons de budget.
Je vais sûrement développer un écran intermédiaire : je n’ai pas encore décidé quelle taille lui donner, le nombre d’épingles ni s’il serait monté ou en kit, mais j’y réfléchis sérieusement.

3DVF : Tu continues à expérimenter sur les techniques de fabrication ; quelles améliorations espères-tu concrétiser à l’avenir ?

Même si le fait d’avoir fabriqué les écrans à la main était une belle aventure j’aimerai arriver à ranger mes épingles dans des rouleaux, comme le conditionnement des composants électroniques, pour ensuite passer par des sociétés qui font de l’implantation de composants avec des machines et leur faire faire l’insertion des épingles. Je cherche aussi à avoir des épingles à double pointe mais le coût de la fabrication spéciale de ce type d’épingles me bloque financierement.

Ecran d'Epingles
3DVF : Sur quels évènements à venir seras-tu présent dans les semaines ou mois à venir, et comment être tenu au courant de tes interventions ?

Souvent les demandes d’interventions arrivent par vagues. Le mieux est d’aller voir mon site  où l’on trouve mes contacts, ou ma page facebook. Ou encore mieux de me demander d’intervenir dans son école, pour son association ou sur un festival.
Je seras bien sûr à Annecy pour le festival puisque j’y habite.

3DVF : Pour finir, à quels artistes utilisant l’écran d’épingles, actuels ou passés, conseillerais-tu de s’intéresser ?

On a assez vite fait le tour ! Il y Alexandre alexeieff et Claire Parker qui ont crée l’écran d’épingles et fait des films avec. Ensuite Jacques Drouin incontournable, Michèle Lemieux qui a pris sa suite au Canada.
En fance il y a eu un stage sur l’Epinette d’Alexeïeff racheté et remis en état par le CNC avec 8 réalisatrices et réalisateurs francais. Ils ont tous fait des essais dessus et vont potentiellement faire un film  pro avec : pour l’instant seules Céline Devaux (certaines scènes de Un gros chagrin) et Justine Vuylsteker (avec Etreintes) ont fait des films pro, mais on peut trouver les essais des autres participants au stage : Pierre Luc Granjon, Florentine Grelier, Florence Mihaille, Cerise Lopez, Nicolas Ligori, Clémence Boucherau.

Pour aller plus loin

– Le site d’Alexandre Noyer ;
– Sa page Facebook ;
– Alexandre Noyer proposera des démonstrations de la technique de l’Ecran d’Epingles durant le Festival d’Annecy 2019, à la fois près de Bonlieu et au MIFA. Notez aussi qu’un court-métrage de la sélection 2019 a été réalisé avec cette technique et sur un des écrans d’Alexandre Noyer.

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