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Une histoire française de l’animation numérique : retour sur le livre de Pierre Hénon

Pierre Hénon

Il y a quelques mois, Pierre Hénon lançait son livre sur les origines de l’image de synthèse en France : Une histoire française de l’animation numérique.

L’ouvrage peut être commandé directement sur le site de l’éditeur  mais aussi, bien entendu, dans vos librairies physiques ou en ligne habituelles.

Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur la genèse de ce projet en compagnie de l’auteur, qui a bien voulu nous parler de l’immense travail effectué en amont de la publication avec les pionniers et pionnières de l’époque.

L’occasion également d’évoquer la question de l’ardhivage ou encore les ressources que Pierre Hénon met à disposition gratuitement en ligne, mais aussi de parler de ses autres activités telles que son travail en tant qu’enseignant-chercheur ou son implication dans le chapitre français du SIGGRAPH.

Sommaire
Ci-dessus, et reste de l’article : quelques photos d’un exemplaire du livre, pour vous donner une idée de son contenu.
L’ouvrage alterne pages de textes et planches en couleurs : plus d’un millier d’illustrations sont présentes dans les 448 pages du livre.

Pierre Hénon
Pierre Hénon en juillet 2018, à l’occasion d’une table ronde autour de l’histoire de l’animation numérique en France.

3DVF : Pierre, nous avons eu l’occasion de parler de tes activités à de nombreuses reprises sur 3DVF, mais toutes les personnes qui nous lisent ne te connaissent peut-être pas : peux-tu nous présenter ton parcours en quelques mots, et tes fonctions actuelles ?

Pierre Hénon : J’ai fait des études de statistique et d’urbanisme dont je n’ai presque jamais utilisé le contenu, ce qui vérifie que ce qui compte c’est d’apprendre à apprendre. J’ai commencé ma carrière d’enseignant aux débuts de la fac de Vincennes en 1968, j’ai été engagé en 1971 par l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD) pour y faire des enseignements de maths, géométrie, construction en 3 dimensions, etc. En 1979, avec un groupe de collègues nous avons élaboré un projet de labo infographique qui s’est concrétisé en 1982.

Grâce aux aides du Ministère de la Culture et du Plan Recherche Image ce labo, devenu “Atelier d’images et d’informatique” (AII) s’est bien développé et je me suis retrouvé à gérer des dizaines de palettes graphiques et systèmes 3D ainsi que les techniciens et formateurs qui faisaient fonctionner tout cela. C’était à la fois un service commun pour l’ensemble de l’école et une formation post-diplôme (les films sont disponibles sur aii.ensad.fr, je suis en train de les mettre en ligne avec une meilleure définition). En 2017 la réorganisation des études de l’ENSAD dans le cadre du système européen a conduit à arrêter les post-diplômes (dont AII) et à développer un cycle doctoral, EnsadLab. Dans ce nouveau cadre j’ai mené un programme de recherche sur l’histoire de la 3D française.
Aujourd’hui je partage ma vie entre Paris et les Cévennes. Je participe en tant que professeur honoraire au programme de recherche “Spatial Media” d’EnsadLab dirigé par François Garnier. J’ai aussi été président du chapitre français de SIGGRAPH et je suis maire adjoint d’une petite commune dans le Gard.
Une histoire française de l'animation numérique en France
 
Une histoire française de l'animation numérique en France
3DVF : Tu es particulièrement impliqué dans la mise en avant du patrimoine français de l’image de synthèse : pourquoi ce sujet te semble-t-il crucial ?

Crucial est peut-être un peu exagéré. Simplement je trouve que nos chercheurs et créatifs n’ont pas démérité dans les années 1980, par ailleurs l’essentiel de la littérature et des sites sur l’histoire de l’image de synthèse est anglo-saxon et par méconnaissance ils négligent l’apport de la France quand il n’écrivent pas des contre vérités. J’ai souhaité faire connaître cette fabuleuse histoire de nos pionniers.

3DVF : Quelles sont les spécificités de la France par rapport à d’autres pays ?

La France a un mix très favorable de bons créatifs (la “French touch” est réputée dans le monde entier : une fois encore cette année deux films sur les trois primés à SIGGRAPH étaient français) , de bons développeurs (nos logiciels ont souvent été des succès mondiaux : Euclid, Catia, Explore, etc ; nos équipes de recherche ont de nombreux papiers reconnus à l’international) et d’aides publiques (le Plan Recherche Image dans les années 1980, le crédit d’impôt aujourd’hui).

Ci-dessous, deux projets pionniers : le court-métrage Maison Vole d’André Martin et Philippe Quéau (1983) et une publicité Sharp de la même année, par Jean-François Henry.

Maison vole from Pierre Hénon on Vimeo.

3DVF : Tu as récemment publié un ouvrage intitulé Une histoire française de l’animation numérique, sur les débuts de l’imagerie 3D en France.
Quelle période de cette histoire couvres-tu, et quels domaines sont mis en avant ?

Je couvre en gros de la fin des années 1970 au milieu des années 1990. Je pensais d’abord traiter l’ensemble de l’image pour l’audiovisuel : la 3D, les palettes graphiques 2D, le dessin animé (ce qu’on appelait la DAAO, Dessin animé assisté par ordinateur) mais je me suis rendu compte que c’était trop vaste et je me suis donc limité à la 3D.

3DVF : Ce genre d’ouvrage nécessite évidemment des sources et entretiens. Peux-tu nous décrire la phase de recherche que tu as effectuée ? As-tu pu retrouver des documents, films et images inédits, ou dans une qualité supérieure aux copies jusqu’alors connues ?

Dès 2008 avec mon programme de recherche HIST3D j’ai organisé ou co-organisé des événements (conférences, colloques, séminaires) centrés sur cette histoire. L’occasion de faire peu à peu témoigner nos principaux pionniers.

J’ai complété cela par de longs dépouillements aux Archives Nationales, en particulier les archives du Plan Recherche Image contiennent des trésors : notes d’intention, synopsis, story boards, budgets, CVs, images, etc. J’ai aussi mené un grand nombre d’entretiens individuels (et j’avais encore une liste d’une centaine de noms que je n’ai pas eu le temps d’interroger).
Oui j’ai souvent trouvé des documents et des images inédits. C’est un des grands plaisirs de ce travail et ça continue aujourd’hui, ça s’est même un peu amplifié avec la sortie du livre ! Les auteurs sont évidemment la première source, ils ont exhumé des documents de leurs greniers et caves. Plusieurs d’entre eux ont même retrouvé des bobines 35mm. Laure Delesalle qui était journaliste spécialisée à l’époque m’a confié 3 cartons de documents et diapositives (la diapositive c’était à l’époque la manière de communiquer des images de qualité à la presse pour publication), j’en ai retrouvé aussi à l’association Folioscope à Bruxelles qui a gardé tout le fond du festival Anima. Grâce au dépôt légal plusieurs des films de cette époque sont au archives du film de Bois d’Arcy, plusieurs photogrammes du livre ont été numérisés par leurs soins, reste à numériser ces films dans leur intégralité.

Ci-dessous : enregistrement d’une conférence de Pierre Hénon autour des débuts de la 3D française, lors du FMX 2009.

3DVF : Il est toujours frappant de voir que certains éléments peuvent disparaître avec le temps : certains films en images de synthèse des décennies 70, 80 et 90 ne sont plus disponibles qu’au travers de mauvaises copies, les originaux ayant été perdus ou rendus inexploitables. Cette question de l’importance de l’archivage des projets et de leurs coulisses te semble-t-elle toujours pertinente aujourd’hui ?

Oui bien sûr même si le numérique permet de multiplier les copies de bonne qualité, la conservation sur le long terme est toujours l’occasion d’âpres débats. Certains proposent même de revenir à la pellicule pour une pérennité maximum ! iI y aura certainement toujours des documents et des oeuvres perdus et il est important je pense pour les auteurs de confier à un moment leur travail à une institution qui va conserver, répertorier, mettre en valeur comme cela vient de se faire pour Michel Jaffrennou [NDRL : artiste français spécialisé dans l’art vidéo et multimédia] avec la BNF.

3DVF : Tu insistes dans l’ouvrage sur le plan Recherche Image, un programme gouvernemental initié dans les années 80 avec des budgets conséquents. Quel a été son impact ? Y a-t-il des leçons à en tirer pour les programmes actuels ?

Le Plan Recherche Image a laissé tomber le volet enseignement et recherche universitaires pourtant prévu au départ donc de ce côté là ça a été un échec. Mais il a irrigué la production audiovisuelle, les sociétés de développement de logiciels et de machines, la formation professionnelle ; il a donc eu un impact très important sur la croissance de cette filière. Aujourd’hui les aides de l’Etat ont pris d’autres formes mais continuent à contribuer au succès français.

Une histoire française de l'animation numérique en France
3DVF : Ton livre est complété par du contenu en ligne en accès libre : quelles ressources proposes-tu ?

Deux sites ont été mis en place :
Le wiki histoire3d.siggraph.org auquel ont contribué de nombreux acteurs de l’époque tente de rassembler des fiches et des documents sur les principaux films, personnes, sociétés, institutions. Il continue à s’enrichir.
Le site du programme de recherche hist3d.fr rassemble toutes les vidéos des colloques tournées depuis dix ans. J’y ai ajouté une partie sur le livre, (en cours de construction) avec d’une part des rectificatifs et compléments, d’autre part des liens pour pouvoir voir les films dont je parle.
3DVF : L’ouvrage comporte un nombre important d’illustrations couleur, ce qui est loin d’être un détail : bien souvent les éditeurs préfèrent opter pour le noir et blanc pour des raisons de coût, ou bien la colorimétrie n’est pas à la hauteur… Quelques mots sur cet aspect du projet ?

Oui, j’ai même vu une grande maison d’édition faire des repros noir et blanc complètement bouchées, une honte ! Cela me semblait important d’avoir sous les yeux ces images si typées, qui ont évolué rapidement et de les reproduire du mieux possible alors que je suis parfois parti de captures d’écran de mauvaises copies vidéo. Je dois remercier Ensad éditions qui n’a pas lésiné sur les moyens : il y a en tout 1015 images couleurs qui sont toutes passées par la photogravure, avec jusqu’à trois passes d’ajustements. Avec Etienne Macquet, le graphiste qui a créé la maquette, nous avons été suivre l’impression chez PPA Esprint à Montreuil. Ils ont été très pros et patients, nous avons pu faire, refaire les réglages planche par planche jusqu’à être en phase avec les cromalins [NDRL : système d’épreuves de contrôle en couleurs qui permet de valider le contenu à imprimer].

Ci-dessous, deux vidéos issues des nombreuses conférences autour de l’histoire de la 3D française mises en ligne par Pierre Hénon.
La première porte sur les débuts de Mikros Image en compagnie de Maurice Prost, qui en a assuré la direction dès 1985.
La seconde propose un retour sur les débuts d’Imagina avec Joëlle Chaussemier, qui a participé à l’organisation des éditions 1982 à 1984.
Vidéos enregistrées en 2013.

Maurice Prost : Histoire de Mikros Image from Pierre Hénon on Vimeo.

Joëlle Chaussemier : Imagina, à la découverte de l’image de synthèse from Pierre Hénon on Vimeo.

3DVF : Six années durant, tu as présidé l’association Paris ACM SIGGRAPH. Tu viens tout juste de passer le relais à Vincent Bachmatiuk, afin de pouvoir disposer de plus de temps sur les (nombreuses) activités que tu évoquais plus haut.
Peux-tu en quelques mots nous dresser le bilan de l’association sous ta direction ?

Président de Paris ACM SIGGRAPH, j’ai poursuivi l’action menée par mes prédécesseurs de Guy Fontenier (1984-1991) à Gilbert Dutertre (2008-2012) : promotion en France de la conférence SIGGRAPH des Etats-Unis, réunions favorisant l’information et le réseautage de la communauté infographique française dans tous les domaines: recherche, production, art,… Nous avons particulièrement développé la promotion de nos écoles en diffusant leurs meilleurs films à Laval Virtual, FMX, Annecy, et, cette année, à la Cité des sciences avec le CNC ainsi qu’au coeur même de SIGGRAPH à Vancouver !

3DVF : Une dernière question : tu évoquais plus haut ton envie initiale de couvrir d’autres domaines liés à l’image. Est-ce que l’on peut s’attendre à un éventuel futur ouvrage qui les aborderait, ou qui prendrait la suite chronologique de ton livre et débuterait au milieu des années 90 ?

Je ne pense pas faire un nouveau livre, trop long pour avoir le niveau de qualité et de fiabilité que je souhaite. Et puis il me reste encore beaucoup de travail sur la période traitée dans le livre pour compléter mes sites (histoire3d.siggraph.org et hist3d.fr), mettre en ligne documents et films inédits, continuer à en rassembler, …
Par contre sur les deux sites il est aussi question de la DAAO et des palettes graphiques 2D (non traitées dans le livre) et la période va jusqu’à l’orée des années 2000.

Pour aller plus loin

– La page officielle du livre chez l’éditeur, qui vous permettra notamment de commander l’ouvrage ;

– Le wiki sur l’histoire de la 3D française : histoire3d.siggraph.org ;

– le site du programme de recherche, avec de nombreuses vidéos issues d’une décennie de travail : hist3d.fr.

Pierre Hénon
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