Ghost of a Tale : une épopée de 5 ans pour un somptueux jeu sous Unity

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3DVF : Au printemps 2013 tu as pu enfin lancer la campagne de financement participatif ; comment l’as-tu préparée ?

Seith : Je me suis lancé dans un prototype de ce que j’aurais aimé avoir comme résultat, et j’ai lancé la campagne de financement participatif sur Indiegogo en présentant un aperçu de ce prototype. J’ai été honnête, en expliquant clairement mes compétences et que je travaillais en solo.
Il y a eu environ 1200 personnes intéressées, ce qui m’a apporté un peu d’argent. J’ai donc pu me consacrer au projet à temps plein.

Ci-dessous : la vidéo mise en ligne en 2013 pour la campagne de financement participatif, avec le prototype.

C’est aussi grâce à cette campagne que certaines personnes m’ont contacté et sont devenues des partenaires :
Paul Gardner, avec qui j’ai travaillé sur les dialogues. Il disposait déjà d’une solide expérience, entre autres chez Namco Bandai en tant que Senior Designer et auteur, et avait travaillé sur des jeux comme Super Monkey Ball, Crash Bandicoot: Twinsanity. Il avait une vision plus professionnelle du développement, l’écouter a été d’une grande aide ;
– Le programmeur Cyrille Paulhiac. Les outils qu’il a développés ont permis d’avancer le développement plus rapidement et efficacement sous Unity. Il a également travaillé sur le système des sauvegardes, un point très technique ;
Jeremiah Pena, compositeur de musique très talentueux ;
Jerome Jacinto, illustrateur et concept artist basé aux Philippines ;
ContainHer alias April G, musicienne qui a composé les chansons de Tilo ;
Nicolas Titeux, ingénieur du son, sound designer et compositeur, qui s’est chargé des bruitages.

3DVF : Avec cette équipe, comment as-tu géré la communication ? As-tu formalisé les échanges ?

Il y avait une formalisation, par exemple avec Paul. On avait mis en place un emploi du temps presque « rigide », avec une grosse réunion deux fois par semaine durant toute cette phase de travail en commun, donc 4 ans environ. Le but était de garder en tête l’ambition du projet, d’éviter les dérives, etc. Ca a été très important pour la collaboration.
Avec Cyrille les choses ont été différentes : comme il vit en France il était possible de se parler en temps réel via Skype. Ce n’était pas le cas pour Paul qui vit à San Francisco et Jeremiah qui est dans l’Utah.

3DVF : Ce mode de réunions régulières rappelle les dailies des studios d’animation…

Effectivement, il y a cette idée. D’ailleurs je profitais souvent des réunions pour leur montrer ce sur quoi je planchais, mes ébauches de projets et d’idées. Ca me permettait d’avoir des retours très tôt, de susciter des idées. C’est quelque chose que je faisais déjà en animation contrairement à d’autres qui préfèrent ne rien dévoiler tant que tout n’est pas finalisé. C’est très important pour moi et je n’étais pas du tout dans un état d’esprit « je sais ce que je fais et j’ai toujours raison ».

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3DVF : Tu parlais plus haut de l’intérêt des réunions pour éviter de dériver : a-t-il été difficile de conserver les idées initiales de gameplay et style graphique ?

Ce qui a été difficile, c’est surtout l’aspect technique.

D’une part apprendre à maîtriser l’outil, avec certains systèmes que j’ai recodé 4 ou 5 fois car je comprenais plus tard que j’avais mal travaillé.
Et d’autre part, d’un point de vue artistique, attendre la progression du moteur. J’avais commencé alors que l’outil était en version 4, avec les débuts de la tessellation. Il a fallu 2 ou 3 ans pour que je sois satisfait de ce que je pouvais obtenir avec Unity.

3DVF : Puisque tu es passé de version en version, y a-t-il eu des ennuis de rétrocompatibilité ?

Parfois, généralement lorsque de nouveaux systèmes dans Unity permettaient de faire des choses différemment. Il a alors fallu repenser certains points, passer du temps. L’absence d’éditeur et donc de contrainte était un gros plus, ça me permettait d’apprendre et de fignoler le travail.

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3DVF : Les décors et la végétation du jeu sont très clairement un de ses points forts. Peux-tu nous en parler ? En particulier, l’utilisation des assets de Quixel Megascans pose-t-elle problème pour conserver un résultat qui soit vraiment personnel ?

Pour moi, Megascans a été très utile. C’est l’un des premiers systèmes qui mettait à disposition des assets issus de photogrammétrie, très réalistes. Je m’en suis servi à 90% environ pour les rochers, car il est difficile de modéliser de beaux rochers en 3D. Je les ai employés pour remplacer certains assets que j’avais mis en place et qui étaient de moins bonne qualité.

Pour revenir à la question, après avoir utilisé cette ressource j’étais tombé en arrêt devant des images d’un autre jeu (de DICE, je crois) : je venais de reconnaître des assets. J’ai alors compris que beaucoup de studio s’appuyaient sur Megascans. Cette prise de conscience a eu lieu à la fin du développement du jeu, il n’était évidemment pas question de tout refaire ; de toutes façons les rochers ont bien joué leur rôle. Mais ça a été une leçon.

Depuis, je me suis depuis lancé dans la photogrammétrie, jusqu’à faire des « expéditions » pour aller récupérer des données. C’est devenu un plaisir de créer mes propres assets de A à Z et j’ai beaucoup appris. Mais encore une fois, Megascans a été très utile, surtout dans un contexte de manque de temps et de moyens. En plus c’est grâce à eux que j’ai découvert la photogrammétrie, et je les en remercie.

La végétation, c’est très différent. J’ai peut-être utilisé quelques textures 2D de Megascans pour certaines plantes, mais si c’est le cas je les ai retravaillés. De toutes façons, quand je me suis focalisé sur les plantes, Megascans ne faisait pas de modèles 3D de ce type.

Je voulais avoir un niveau d’interaction élevé avec les plantes, quelque chose de très rare et uniquement visible dans certains titres AAA comme Uncharted. L’idée était d’obtenir un résultat réaliste et que Tilo puisse pousser les feuilles, loin des techniques classiques basiques (par exemple un shader qui repousse les feuilles autour d’une sphère).
J’ai passé pas mal de temps pour développer ce système et faire en sorte qu’il tourne aussi sur console efficacement.
Pour le rendu, j’ai notamment travaillé avec un shader artist basé en Allemagne. Il a développé quelques shaders, entre autres pour donner aux feuilles un aspect translucide.

Cette partie du projet a donc été passionnante, mais à un moment donné il a fallu considérer les choses comme terminées, même si j’apprenais en permanence.

Ci-dessous : deux vidéos montrant des tests de végétation publiées respectivement en 2016 et 2017.

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3DVF : Est-ce que l’aspect interactif d’un jeu a changé ta façon de travailler sur l’animation ?

Pas du tout, car le pipeline et les outils sont exactement les mêmes. Aucun dépaysement, juste la technique qui consiste à mêler les animations entre elles, mais cet aspect et l’interpolation sont du ressort de Unity. Le moteur est très bien fait à ce niveau, et l’outil d’animation Mecanim a beaucoup aidé.

L’animation été très bien reçue par les joueurs et la critique, ce qui me fait plaisir. Au final cette partie n’a pas été un défi mais un plaisir… De courte durée, car l’animation doit représenter 5% du travail total, pas plus, étant donné mes rôles multiples dans la création du jeu.

Si par contre j’avais uniquement été animateur sur le projet, j’aurais évidemment amélioré les détails et la richesse de l’animation. Avec les progrès de Unity il sera d’ailleurs sans doute possible de pousser les choses sur de futurs projets.

3DVF : Le fait d’avoir d’abord travaillé dans l’animation aurait d’ailleurs pu t’inciter à faire beaucoup de cinématiques… Quelques mots à ce sujet ?

Très bonne question ! Il n’y en a presque pas dans le jeu car le danger aurait justement été de vouloir faire des cinématiques. Si j’étais rentré là-dedans, mon passé dans les studios fait que j’aurais eu une exigence de qualité importante, et j’aurais perdu trop de temps. Ce n’était tout simplement pas possible dans ces conditions de temps et budget.
J’ai pris la décision mûrement réfléchie de ne faire quasi aucune cinématique : il y en a une ou deux, elles durent quelques secondes n’ont pas de mouvement de caméra ou mise en scène.

J’ai donc préféré passer par des dialogues, avec des textes illustrés par l’artiste Jerome Jacinto qui est aux Philippines. Ca a été une excellente expérience : j’ai pu dessiner les personnages et leurs expressions. Je lui envoyais ensuite ces dessins pour qu’il les peigne et les mette en couleurs. Cette collaboration artistique a été particulièrement agréable, il comprenait parfaitement ce que j’attendais tout en apportant sa patte personnelle. D’autant que je n’aurais pas eu le temps de faire cette partie en solo, et pas en arrivant au même niveau.

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