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La Passion Van Gogh, retour sur une prouesse technique et artistique

Sorti le 11 octobre 2017, La Passion Van Gogh est un film d’animation atypique : il est entièrement peint à la main. Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur les coulisses de ce projet ambitieux.

La Passion Van Gogh

Critique

Réalisé par Dorota Kobiela et Hugh Welchman, La Passion Van Gogh peut laisser perplexe dans ses premières minutes. Nous sommes en 1891, Van Gogh s’est suicidé quelques mois plus tôt.

Le film suit Armand Roulin, chargé par son père (le facteur Joseph Roulin) qui vient seulement d’apprendre la nouvelle de remettre en mains propres une lettre au frère de l’artiste, Theo.
Armand Roulin se rend à Paris pour accomplir cette tâche. Il apprend alors que Theo est décédé quelques mois après son frère, anéanti par le suicide. Il décide de se rendre à Auvers-sur-Oise pour mieux comprendre les raisons qui ont poussé l’artiste vers la mort. En chemin, il croisera le Paul et Marguerite Gachet, Joseph Roulin ou encore Adeline Ravoux : autant de personnages que vous avez déjà vus dans les tableaux du maître.

La Passion Van Gogh

La Passion Van Gogh propose donc une entrée en matière surprenante : le peintre est déjà mort, et le personnage principal entame sa mission avec assez peu d’enthousiasme. Pas vraiment le départ idéal, mais rapidement, le film prend une toute autre tournure. On découvre que la quête liée à la lettre n’est, au fond, qu’un prétexte.

Armand Roulin, dans sa recherche, interroge les témoins des derniers jours de la vie du peintre, chacun proposant son ressenti, parfois contradictoire avec celui des autres. La Passion Van Gogh passe donc d’une remise de lettre à une véritable enquête, dont les témoins nous permettront peu à peu de lever certains mystères.

Sur le plan esthétique, le film propose du jamais vu. L’équipe a su reproduire le style du peintre, de nombreux plans (et en particulier, chaque introduction d’un personnage) étant calqués sur des tableaux de Van Gogh. Les toiles s’animent au sens étymologique du terme : elles prennent vie sous nos yeux. Rien que cette prouesse et les 65000 tableaux nécessaires pour l’accomplir justifieraient de voir le film.
Si le début du long-métrage nous a semblé un peu lent, il devient passionnant dès lors qu’il bascule dans l’enquête et que l’on réalise que les témoins ne donnent pas forcément la vérité mais leur vérité. Un choix narratif intelligent qui, en plus de maintenir l’attention du spectateur, évite à la fois un parti pris historique trop tranché et le risque de retomber dans un biopic trop classique.
Globalement, le film est une réussite.

Une technique atypique

Un projet comme La Passion Van Gogh nécessite évidemment une pré-production soignée. L’équipe a passé un an à préparer l’adapatation des oeuvre sur grand écran, à l’aide d’essais de peinture mais aussi d’un storyboard et d’un layout en animation 3D.

Ces éléments ont ensuite servi de base à un tournage de 14 jours à Londres en prises de vue réelles, avec de véritables acteurs et des décors ou fonds verts (avec un système de compositing en direct pour donner une idée du résultat final).
Des éléments ont ensuite été rajoutés en 3D : chevaux, oiseaux, nuages, feuilles virevoltant dans le vent. Combinés aux prises de vue et aux peintures préparatoires, ils ont formé un tout qui a servi de matériau de base pour la peinture proprement dite.

Les animateurs-peintres se sont ensuite mis au travail. Pour chaque plan, ils devaient à partir des références créer la première frame, en utilisant le style de Van Gogh.
Une fois l’image terminée, deux photos numériques sont prises, en 6K. Puis… Le tableau sert de base à la frame suivante : les artistes ne repartaient pas de zéro, ils travaillaient sur la même peinture.

L’avantage de cette approche est évidemment d’éviter de repeindre à chaque image le décor et les éléments statiques.
En revanche, la technique nécessite souvent des retouches autour des personnages. Dans le film, ceci se traduit par une sorte de halo, un effet qui n’est pas sans évoquer des artefacts de compression numérique (visibles par exemple dans des images jpeg, ou dans une vidéo mal encodée), à un détail près : ces artefacts sont ici organiques, presques vivants, et apportent une touche esthétique unique.

Pour augmenter l’efficacité du processus, 2 ans ont été passés sur le développement des Painting Animation Work Stations (PAWS), les « stations de travail » des peintres. Elles permettent au choix de visionner les images de référence sur un moniteur, ou projetées sur la toile. En optant pour des stations fixes, l’équipe a pu éviter différents problèmes : pas de trépied renversé par mégarde, des prises de vue contrôlées en termes d’angle de vue et d’éclairage, et l’élimination de la gestion des cartes mémoires.

Si 65000 images ont été peintes (le film est animé à 12 images par seconde), comme chaque plan est dessiné image par image sur une seule toile, seule la dernière image de chaque plan subsiste après la finalisation d’un plan. Le long-métrage en compte 898.

Au total, 4 ans de travail ont été nécessaires pour le développement complet de la technique employée, 2 pour la fabrication proprement dite.

La Passion Van Gogh
La Passion Van Gogh

Pourquoi ces choix techniques ?

Dorota Kobiela et Hugh Welchman expliquent que la méthode retenue n’a pas été adoptée dès le départ. Des tests d’animation plus classique (en 2D et 3D) ont été effectués au début du projet, mais les personnages basculaient dans le dessin animé, loin des peintures de Van Gogh qui « mettait en avant l’âme de ses modèles ». La peinture et le système PAWS permettent à la fois de conserver son style artistique et de donner le sentiment que de vraies personnes sont représentées.

5000 candidats

Pour recruter la centaine de peintres nécessaires au projet, la production a passé en revue environ 5000 candidats. Après une première sélection, 500 entretiens/essais de trois jours ont été mis en place. Enfin, 120 peintres environ ont été retenus pour le projet. Ils ont travaillé dans différents studios en Pologne (Gdansk, Wroclaw) et en Grèce (Athènes). Tous n’ont pas travaillé en parallèle durant les 2 ans de fabrication : le projet s’est davantage apparenté à un relais.

La Passion Van Gogh
L’équipe du film à Annecy en juin 2017, pour la première du film. Au micro, la réalisatrice Dorota Kobiela, visiblement émue ; à sa gauche, le réalisateur Hugh Welchman.
La Passion Van Gogh
L’équipe durant la conférence de presse qui a suivi la projection.
La Passion Van Gogh

La supervision, un élément crucial

A Annecy, la réalisatrice Dorota Kobiela et la superviseure d’animation Anna Kluza ont souligné l’importance de la supervision durant la fabrication du film. Les peintres ont chacun leur propre style et même lorsqu’il s’agit d’imiter Van Gogh, ces styles se ressentent, peuvent faire diverger les approches. Il était donc essentiel de guider les équipes pour assurer une cohérence.
Dorota Kobiela a précisé que le choix a été fait de confier la supervision aux meilleurs peintres, une décision « déchirant » selon la réalisatrice : en effet, tant qu’une peintre comme Anna Kluza supervise, elle ne peut peindre en parallèle…

La supervision impliquait plusieurs niveaux de vérification : outre la cohérence globale, il s’agissait de coller aux oeuvres de Van Gogh dont sont directement tirés de nombreux plans, en respectant couleur, éclairage, détails anatomiques.

La peinture, un défi

Un problème fondamental de l’utilisation de la peinture est évidemment le risque que cette dernière sèche, d’autant qu’un plan entier pouvait nécessiter 2 ou 3 mois de travail.
Si en théorie, comme nous le disions plus haut, il n’était pas nécessaire de repeindre le décor d’un plan, en pratique cela devenait parfois indispensable, pour conserver une peinture fraîche. Un ingrédient a toutefois permis de prolonger la fraîcheur de la peinture : l’huile de clou de girofle.

Box-Office

Pour l’heure, difficile de tirer un bilan de la réception publique du film : les sorties, entamées en septembre, s’étaleront encore durant toute la fin de l’année et même jusqu’en 2018. Il est donc encore trop tôt pour avoir une idée précise des recettes finales, d’autant qu’avec une distribution plus limitée qu’un gros film d’animation, La Passion Van Gogh étale ses entrées dans le temps.

Pour en savoir plus

– Le site officiel du film.

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