Rencontre avec Dofresh, concept artist et illustrateur

Dofresh
3DVF : Revenons sur certains de tes projets personnels récents. « Nobody’s supposed to know I’m here » et « Night call » (ci-dessous) montrent un soin particulier apporté à l’éclairage et à l’ambiance. Comment abordes-tu ces aspects sur un projet ?

Ronan Le Fur alias Dofresh : A la base, l’éclairage était ma spécialité en 3D, c’est donc encore mon domaine de prédilection. A l’époque de ma formation, mes mentors m’ont vite fait comprendre qu’un beau mesh, de belles textures ne servent à rien si on les massacre à l’éclairage. A l’inverse, en gérant bien sa mise en lumière, on peut camoufler pas mal de défauts et donner un rendu très abouti à une image qui contient finalement assez peu d’éléments.

 

Pour le reste, la lumière est là pour créer une ambiance, elle doit guider le spectateur vers ce que je veux qu’il voie. Enfin, et là il s’agit de préférences personnelles, j’ai tendance à privilégier des éclairages très contrastés, avec parfois  de larges  zones de l’image dans le noir et des effets de silhouettes assez marqués (gros fan de Roger Deakins). Le fait d’avoir  généralement une base 3D permet de faire pas mal  de tests en peu de temps et d’expérimenter sans  stresser. Parfois  on tente quelque chose de très différent de ce qu’on avait en tête au début et ça marche (et parfois pas).
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3DVF : Film noir et surtout polar contemporain sont des sujets récurrents d’inspiration : qu’est-ce qui t’attire dans ces univers visuels ?

Quand il s’agit de travaux personnels, j’aime bien travailler par séries, produire plusieurs images dans le même univers, en abordant les mêmes sujets mais  en variant les cadrages, les personnages, les couleurs et les ambiances. Et comme ce sont des travaux perso, j’essaye tout simplement de produire des images que j’aimerais voir.

Pour ce qui est du polar, je voulais  sortir de ma zone de confort, tenter quelque chose que je n’avais  encore jamais fait. Qui plus est, ce type de sujet n’est pas si fréquent dans un domaine où la science-fiction et la fantasy dominent très largement. Il est bien possible que je fasse prochainement une nouvelle série sur un sujet totalement différent, le western, pourquoi  pas ? A mon avis, un concept artist doit pouvoir produire des images intéressantes dans n’importe quel univers. Il me semble que c’est Tim Miller (patron de Blur et réalisateur) qui disait  que quel que soit le sujet il y a toujours moyen d’en faire un truc cool.

 

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3DVF : On sent également une volonté de narration dans certains de tes projets, avec une histoire sous-jacente et pas simplement une belle image vide de sens. C’est le cas pour « The neighbors complained about the smell » (ci-dessus)… Que peux-tu nous dire sur ce projet, et sur la façon dont tu as utilisé les éléments visuels pour faire passer la narration ?

En effet, la narration est un élément primordial pour moi. J’essaye toujours de raconter quelque chose dans mes images, d’éviter d’en faire juste une belle image sitôt vue, sitôt oubliée. Parfois c’est plus suggéré que clairement représenté, mais j’adore aussi mettre des petits détails et indices qui rendent les scènes plus vivantes, plus intéressantes. Pour moi une image-clé (telle qu’on me demande d’en produire pour un film ou une série) doit être comprise quasi instantanément. Ensuite, si le spectateur aime ce qu’il voit et veut passer un peu plus de temps à analyser l’image il  verra les petits détails (j’avoue aussi qu’il y a parfois des private jokes cachées). En tous cas, rien ne me fait plus plaisir que d ‘entendre quelqu’un dire qu’il s’imagine tout un scénario à partir d’une de mes images, c’est vraiment le plus beau compliment qu’on puisse me faire.

 

Pour l’image en question,  « The neighbors complained about the smell », j’ai vraiment essayé de raconter une petite histoire noire au spectateur. Le regard est immédiatement attiré au centre de l’image par la masse du frigo, c’est le personnage principal  ce cette illustration. Les coulures de sang forment un fort contraste avec le blanc de l’appareil et, en suivant les coulures  au sol, on arrive aux silhouettes des policiers en train d’ouvrir la porte du garage. Leurs ombres portées encadrent le frigo, sujet principal  de l’image. Même le bras levé du personnage à droite semble pointer vers le réfrigérateur. Le reste de l’image est finalement assez secondaire et sert à finaliser l’ambiance de la scène (même si on peut trouver des indices sur les habitants de la maison). J’ai également ajouté un effet de vignettage assez marqué pour, encore une fois, focaliser le regard sur le frigo. Au final c’est une image qui a été faite très rapidement, je voulais juste voir si j’arrivais à créer une scène de film noir à la fois graphique et narrative en peu de temps (une petite journée).

 

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3DVF : Les mechas sont un autre élément qui revient dans ton univers visuel. Tu sembles vouloir les mettre en avant avec une vue à hauteur humaine, par exemple pour « Fortress Manhattan » (ci-dessus) et « So Many tons of democracy waiting to get delivered » (ci-dessous). Peux-tu revenir sur ces deux images ? Comment travailles-tu sur le design et la composition, pour de tels sujets ?

J’aime beaucoup la science-fiction et particulièrement le sous-genre des mechas. Simplement, j’essaye de traiter le sujet comme si c’étaient des machines réelles, avec une recherche de belles formes, certes, mais aussi d’une certaine crédibilité. On les voit donc en action, dans la crasse et la poussière. Les mechas sont des éléments de l’image, pas leur sujet principal.  Je ne voulais vraiment pas avoir un rendu « publicitaire », comme sur de nombreux concept art représentant des mechas  qui finissent par tous se ressembler et deviennent un cliché (formes ultra-anguleuses, peinture noire, shaders impeccables, fond neutre).
Dans la série d’images « Fortress » je voulais  mettre en avant le côté brutal de ces machines, les placer dans un contexte de SF réaliste, où ce sont surtout les civils  qui  trinquent. Ces mechas sont des armes, elles sont esthétiques mais elles ne sont définitivement pas sympathiques. Cette approche m’a valu des réactions très variées. Certains comprennent et apprécient l’approche, d’autres détestent et y voient une prise de position politique. Pour ma part, il s’agit plutôt, encore une fois, de raconter une histoire à travers des illustrations. Je me souviens notamment de l’image « Fortress America » [visible plus bas, NDLR] qui dépeint un drone armé survolant un mur gigantesque au dessus du Mexique. Publiée en 2015, l’image était une blague. Aujourd’hui elle fait moins rire.
Pour ce qui est de la composition et du choix de cadrage, j’ai  visé le réalisme et la simplicité, avec une focale standard et, en effet, une vision à hauteur d’homme avec des machines qui dominent nettement le spectateur. L’idée était aussi de voir les mechas dans leur environnement de « travail », pas dans un labo stérile.
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