Jean-François Rey : retour sur le design des créatures de Dragons 2

Bewilderbeast

Tu as également designé le Bewilderbeast, dragon titanesque qui joue un rôle capital dans l’intrigue. Peux-tu, comme pour Cloud Jumper, décrire la façon dont tu l’as abordé, et les motivations/choix lors du design ?

Pour ce qui est du Bewilderbeast, on avait littéralement carte blanche. Le but était de trouver un concept pour un monstre marin gigantesque qui cracherait de la glace et qui aurait une allure royale. Lors des premières présentations, on a donc proposé des tonnes d’idées plus ou moins monstrueuses, certaines avec de multiples nageoires, de multiples membres. Certains avaient même de la fourrure (qui était une idée lancée par Dean DeBlois, le réalisateur/scénariste du film).

Puis Dean a choisi certains des multiples croquis comme direction, avec le corps pour l’un (avec les excroissances), puis la tête pour un autre (tête rappelant un lion), et les défenses pour un troisième… Le but a ensuite été d’affiner autour de ces idées.

Dans le film, l’animal est souvent vu à hauteur d’homme et en contre-plongée, beaucoup moins en plongée. Est-ce que cette façon de le montrer au spectateur était déjà prévue dès le design, et a-t-elle influencé ton travail ?

J’ai bien peur que ce ne soit pas le cas pour mon travail, mais c’est clair que Dean avait déjà ses idées à propos des cadrages. L’essentiel du travail sur l’échelle gigantesque du Bewilderbeast a été centré sur les proportions de la bête elle-même, qui devait de toute façon « marcher » sous tous les angles.

 

Dragons 2
DreamWorks Animation – 20th Century Fox – Tous droits réservés

Bewilderbeast
Exploration du design de Bewilderbeast – Jean-François Rey pour DreamWorks Animation – 20th Century Fox – Tous droits réservés

 

Quels étaient tes liens avec Dean DeBlois, (réalisateur et scénariste du film) et les autres artistes en charge des designs des dragons ? Comment travailliez-vous ?

En général, tout commence avec une réunion ou Dean fait une présentation générale de ce dont il a besoin pour sa narration : il donne des informations sur le caractère du personnage, son rôle dans le film, et éventuellement une ou deux idées de source d’inspiration à explorer.

Les différents artistes produisent une série de possibilités très variées afin de donner un large éventail d’idées possibles : Dean les passe en revue, puis décide quelles idées l’intéressent ( en général il pointe vers une idée sur un dessin, puis une idée sur un autre, etc..) ce qui donne aux artistes une nouvelle direction pour raffiner les recherches.

Donc lors de la présentation suivante avec Dean, tout le monde a fait des variations dans cette nouvelle direction. Dean inspecte, pointe vers des dessins et des idées particulières, et tout le monde repart faire des variations sur cette direction qui est maintenant de plus en plus spécifique.
Et ainsi de suite jusqu’à ce que le design final émerge.

La difficulté est vraiment de trouver la silhouette unique qui donnera la direction globale du design en question, et c’est donc pourquoi le début du processus peut prendre pas mal de temps afin que les artistes puissent explorer suffisamment d’horizons différents avant de tomber sur le bon angle d’attaque (c’est ce qui s’est passé pour le Bewilderbeast, alors que pour Cloud Jumper, la direction a été trouvée immédiatement a ma grande surprise).

 

Bewilderbeast
Concept-art final de Bewilderbeast – Jean-François Rey pour DreamWorks Animation – 20th Century Fox – Tous droits réservés

 

Quel bilan gardes-tu de ce projet ?

Ce projet a été très court et intense pour moi, mais extrêmement gratifiant.

En particulier parce que je savais que ces personnages allaient être rendus superbement avec tout le talent de l’Art Department, de l’animation et avec une narration impeccable.

 

Dragons 2
DreamWorks Animation – 20th Century Fox – Tous droits réservés

 

Tu as vécu l’ensemble de la saga du studio DreamWorks Animation : comment as-tu vécu les évolutions majeures de la société, par exemple le basculement vers la 3D, les évolutions techniques ou artistiques ?

Lorsque j’ai commencé, le milieu de l’animation venait juste de découvrir les ordinateurs, mais la technologie restait extrêmement primitive, donc seuls les gens sachant dessiner pouvaient alors espérer travailler en studio (du moins pour ce qui était des départements artistiques).

Puis est venu le moment où tout a basculé : les films d’animation traditionnelle ne faisaient plus d’argent (à DreamWorks Animation) et le studio a décidé d’aller vers la 3D. Une grosse partie des jobs a ainsi cessé d’exister, malgré le fait que les exécutifs nous aient juré que ce n’était que temporaire et que jamais ils ne se débarrasseraient des tables et du matériel d’animation traditionnelle, qu’ils ont fini par brader il y a de ça quelques années bien sûr.
J’ai fait partie des chanceux qui ont été gardés et formés à l’infographie par le studio qui a tout misé sur les nouvelles technologies qui ont aidé au succès des Shrek, Kung-Fu Panda, Dragons, et Madagascar.

En ce qui concerne les projets sur lesquels tu as travaillé, quels sont ceux dont tu es le plus fier/qui t’ont tout particulièrement marqué, et pourquoi ?

Je dois avouer que le dernier Shrek a été un régal pour toute l’équipe, à ma grande surprise, parce que le réalisateur Mike Mitchell avait une présence et un sens de la performance extraordinaires, à un tel point que j’allais assister aux dailies seulement pour le plaisir de l’entendre parler et pour rire à pleine voix.

Et évidemment, bosser sur les deux How to train your dragon a été une expérience que je n’oublierai jamais.

 

Dragons 2
DreamWorks Animation – 20th Century Fox – Tous droits réservés

 

Comment as-tu évolué depuis, sur le plan professionnel ?

Je suis actuellement directeur d’animation chez Tombolo Interactive sur un projet pour Disney Imagineering.

Après 17 ans passés chez DreamWorks Animation, comment as-tu géré la transition vers Tombolo Interactive ?
Quelles sont les différences principales en termes de méthodes de travail, délais, outils ?

Dans un gros studio, il est extrêmement difficile d’avoir la moindre influence sur le processus créatif : tout le monde est dans un sillon extrêmement spécialise et n’est en général pas autorise à naviguer d’un département à un autre (ce qui a d’ailleurs été source de difficultés pour mon boulot de character design), et même à l’intérieur de nos propres départements, les possibilités d’expression artistique restent largement limitées à ce que la masse colossale d’une production hollywoodienne requiert de chacun.

D’un autre côté, dans un studio de taille plus modeste, le travail ressemble plus à de la recherche expérimentale ou chaque jour voit venir de nouveaux problèmes, parfois même nous dirigeant vers des horizons totalement inattendus et novateurs, tout en participant activement a une approche collective du projet qui permet à tout le monde d’interagir directement avec tous les départements et de toucher à toutes sortes de logiciels et de technologies qui nous auraient autrement été interdits.

Donc pour les gros studios tu as le privilège de bosser sur d’énormes productions très prestigieuses, mais avec une participation très limitee, alors qu’en plus petit studio, même si les productions restent de grosse voir de très grosse taille, les possibilités créatives ne sont limitées que par nous-mêmes, ce qui est formidable, et ce qui est le cas avec Tombolo interactive qui me permet de toucher a tout, et où les décisions sont prises sur le moment plutôt qu’après tout une série de meetings et de complications qui prennent tant de temps dans les grands studios.

A moyen ou long terme, penses-tu rester dans l’animation, ou est-ce que tu souhaites replonger dans le design ?

J’ai 20 ans d’animation derrière moi, donc s’il était possible que je puisse maintenant envisager de travailler à plein temps en tant que designer, ce serait fantastique : je suis d’ailleurs sur le point de mettre tout mon travail sur un site internet vers la fin Juillet, qui s’appellera jfreydesign.com
Je n’ai pas l’intention d’abandonner l’animation, mais le design me fait rêver depuis bien longtemps, et il est temps que je me lance.

Pour en savoir plus


– Notre critique du film ;
– Notre interview de Dean DeBlois, réalisateur et scénariste de Dragons 2 ;
– Notre interview de Nicolas Weis, Visual Development Artist ;
– Une critique du livre The Art of How to Train Your Dragon 2, qui propose de très nombreux visuels de préproduction, dont ceux de Nicolas Weis et Jean-François Rey ;
– Un article sur les outils mis en place par DreamWorks Animation au sein du studio : Premo pour l’animation et Torch pour l’éclairage.
– Un retour sur le sound design du long-métrage en vidéo.

 

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