Guillaume Ruegg : Gatsby le Magnifique, Animal Logic et 3D Matchmovers

Gatsby Le Magnifique

Abordons maintenant le lighting. Comme pour le texturing, que peux-tu nous dire de la taille de l’équipe, son organisation et vos outils ?

Nous étions une dizaine de lighters. Le travail se faisait en parallèle avec l’équipe de compositeurs et de matte painters. Les matte painters reprenaient beaucoup de plans pour ajouter du détail dans les textures. Nous avions fait un système poussé pour les textures, mais malgré tout, la touche de finition des matte painters était essentielle pour obtenir un résultat plus naturel et moins générique.
Sur ce projet le travail de lighting se faisait sous Maya et le rendu avec RenderMan.

Quels plans as-tu gérés ?

Ayant contribué au département surfacing jusqu’à la fin, mon transfert en lighting a été effectif en fin de production. Pour cette raison, de nombreuses key lights avaient déjà été attribuées.
Néanmoins, on m’a assigné un plan important dans New York quand la caméra part du haut d’un building avec une vue générale de la ville et effectue une descente vertigineuse vers le trottoir ou se trouve Tobey Maguire. Un plan très intéressant car très lourd à gérer, avec beaucoup de bâtiments, de la foule, des voitures, des arbres, de l’eau, etc. Un vrai challenge !

Plongée
Crédit: Gatsby Le magnifique – Warner Bros

 

Revenons sur ce plan (0:05 à 0:12 dans la démoreel de Chris Godfrey).

Quelles consignes/contraintes avais-tu au niveau de l’éclairage ? Peux-tu détailler la façon dont tu as abordé ce plan ?

Au niveau des contraintes, il fallait que je respecte la direction de lumière de la plate où se trouve Tobey Maguire car encore une fois on part d’un plan full CG pour finir sur un plan live action. Ce qui était donc difficile c’est que sur le plan réel les acteurs ont une lumière rasante orientée d’une certaine façon et lorsque j’ai positionné ma key pour matcher celle de la plate j’avais des bâtiments qui étaient en plein milieu et qui m’empêchaient de faire passer ma lumière.
Il a donc fallu faire un nettoyage de bâtiments quand ils n’étaient pas dans le champ de caméra ou désactiver les ombres de certains bâtiments.
L’autre gros problème a été la segmentation du plan pour être capable de le rendre : il a fallu couper le plan en 10 parties pour être capable de le rendre tellement il était lourd en géométrie, sans compter le nombre incalculable de passes pour les crowds qui eux aussi devaient être séparés. Un casse-tête chinois !

Au final, que retiens-tu du projet Great Gatsby, en termes d’expérience technique, artistique et sur le plan humain ?

Côté technique ça m’a rappelé comment RenderMan pouvait être puissant, mais aussi daté sur beaucoup d’aspects, ce qui induit une charge de travail conséquente pour parer certains bugs ou mauvaises optimisations.
Sur le plan artistique, j’ai beaucoup aimé la liberté qui nous était donnée de présenter des choses en dailies et le fait qu’on nous laisse pas mal d’autonomie dans la gestion de notre plan. Sur le plan humain encore une fois j’ai trouvé une équipe très performante, avec un esprit très ouvert, mais par-dessus tout j’ai réalisé un rêve en travaillant sur un film de Baz Luhrman que j’ai d’ailleurs pu rencontrer lors de la fête de fin de film.



 

Plongée
Crédit: Gatsby Le magnifique – Warner Bros

En parallèle de tes activités chez Animal Logic, tu as également cofondé la société 3D Matchmovers, basée à Tunis et dont tu es head of Production. Quelle est l’histoire de cette société ? Pourquoi l’avoir créée ?

3D Matchmovers est né du constat que le tracking est l’une des disciplines mal-aimées de l’infographie, délaissée par beaucoup alors même qu’elle requiert une expérience et un savoir-faire importants. La plupart des studios de VFX ont un mal fou à staffer des équipes de matchmovers et n’ont que rarement la charge nécessaire pour les maintenir à la fin des prod.

Le tracking pourtant est l’un des goulots d’étranglement les plus ardus à passer dans une production. Les solutions qui s’offrent alors aux studios est de recruter à tout prix et à tous niveaux lorsque vient le temps du tracking ou bien d’externaliser leur production. C’est là que 3D Matchmovers se positionne.

Quels services proposez-vous ? Quels sont les avantages de la localisation à Tunis ?

Nous proposons un service de Tracking-Layout. Nous faisons du tracking camera, tracking objet, matchmove animation et layout.

Les artistes en Tunisie sont bien formés, la plupart ont été formés en France ou bien par des français dans des écoles tunisiennes. Les infrastructures réseau sont modernes et rapides avec l’Europe notamment grâce à un câble sous-marin important qui arrive à proximité de Tunis reliant l’Europe. Les artistes maitrisent bien évidemment le français et souvent l’anglais. Le tout à moins de deux heures de la France et sur le même fuseau horaire. En outre, le niveau de salaire est moins élevé qu’en France et la Tunisie offre aux entreprises d’export des avantages fiscaux très significatifs.

Au final, nous arrivons à combiner les forces des studios occidentaux (les infrastructures et les compétences) avec ceux des studios asiatiques (principalement le coût).

 

 

A-t-il été difficile de mettre en place une société en Tunisie ? Comment avez-vous défini le pipeline, et comment s’est passée l’implantation concrète ? Avez-vous rencontré des difficultés inattendues ?

Au final, l’implantation s’est faite de manière très simple. L’un des associés de 3D Matchmovers, Jean-Daniel, réside en Tunisie. Son expérience de gestion de projet et de management nous a permis de faciliter la création de l’entreprise. La Tunisie a en outre initié voilà bien des années un programme d’incitation à la création d’entreprises avec notamment des structures d’accompagnement pour les investisseurs étrangers. Les règles sont bien établies et assouplies année après année pour s’adapter aux nouveaux types d’entreprises. Les plus grands noms de l’industrie et du service sont présents en Tunisie depuis des années et chaque année de nouvelles entreprises s’y implantent.

Ensuite il a fallu penser à une solution qui nous permettrait de coordonner les compétences, le reporting, et les données. Notre directeur technique et associé Emmanuel Allasia a spécifié puis développé un pipeline online qui nous permet à tous d’accéder de façon sécurisée à toutes les données de production.

L’une des principales difficultés a été de gérer un flux de données à laquelle nous n’étions pas préparés. La plupart des échanges avec les studios se faisant en format natif, ce sont des dizaines de Go qui sont échangés à chaque livraison, ce qui a mis notre infrastructure à rude épreuve !

Nous avons heureusement pu rapidement rectifier le tir en doublant notre connexion SDSL par une liaison optique et en faisant évoluer notre intranet en Gigabit.

Comment arrives-tu à concilier tes activités chez 3D Matchmovers et Animal Logic malgré l’éloignement ?

La clef de notre structure réside dans son organisation. Tout a été pensé afin que les circuits de validation et de supervision puissent être décentralisés de manière efficiente tout en maintenant -c’est un des critères essentiels- une garantie optimale sur les plates de nos clients.

Notre organisation est répartie en trois domaines particuliers, la gestion et le management administratif des équipes dont s’occupe Jean-Daniel, l’infrastructure informatique et logique prise en charge par Emmanuel et le métier de matchmove en lui-même (supervision et formation) confiée à Frédéric et Eric, deux seniors matchmovers qui totalisent à eux deux plus de 20 ans d’expérience dans ce domaine.

Mon rôle est celui d’animer ces compétences et de faire la prospection commerciale avec Jean-Daniel, ce que je peux faire -grâce au décalage horaire- en dehors de mes heures de travail.

 

Projets
Ci-dessus : quelques projets sur lesquels 3D Matchmovers et ses membres ont travaillé.

 

Quels sont vos projets les plus marquants ? Quelle est la taille de la société ?

Le projet qui nous a le plus marqué a été le premier que nous ayons fait. Il s’agissait d’un projet assez simple pour le compte d’un client canadien de tracking caméra et objet sur une soixantaine de plans assez clean. La structure que nous avions mise en place a explosé dès le premier jour de production : rien ne marchait normalement. Tout notre système avait été pensé pour une situation nominale…. Mais rien n’est jamais nominal en tracking ! Les formats de fichiers ne marchaient pas avec nos scripts, les données d’entrées incomplètes ou incorrectes pénalisaient les résultats de l’ensemble…

Le projet était heureusement plutôt simple et nous avions pris pas mal de marge planning ; on a tout repris à la main, jour et nuit pour pouvoir livrer dans les délais. Suite à cela, on a arrêté toute production pendant deux mois pour tout remettre d’équerre et adapter notre système à la nature hétérogène et irrégulière des données qui nous sont transmises.

Nous sommes actuellement une dizaine de personnes.


Quelle est ta vision du marché pour ce type de société ? La concurrence asiatique se fait-elle sentir ?

Les studios de postprod sont de plus en plus confrontés à des contraintes technico-économiques souvent presque inconciliables.

Les studios sont aujourd’hui obligés de compresser leurs coûts tout en intégrant des technologies de plus en plus complexes et avec des plannings de plus en plus tendus. Dans ce contexte, il devient difficile pour les acteurs intermédiaires de pouvoir suivre la cadence imposée par les grands studios et les majors et de maintenir intacts leur capacité d’innovation et leurs relais de croissance.

Les studios asiatiques de leurs côtés offrent des solutions lowcost plus ou moins spécialisées.
En ce sens, elles offrent une solution intéressante à ceux des studios qui veulent augmenter leur rentabilité ou bien ceux qui désirent se concentrer sur leur cœur de métier tout en déléguant le reste.

Ce qui échappe le plus souvent à ces studios c’est que l’externalisation de services dans des pays éloignés (en termes de langues, distance, culture, technique,…) nécessite de consacrer beaucoup de temps au pilotage des prestations avec des résultats parfois décevants tant en termes de qualité que de planning. Au final, l’avantage économique est souvent compromis par des non-qualités et des retards importants dus au nombreux retake. D’autant qu’avec la montée des économies asiatiques et de leurs monnaies, les prix ont plutôt tendance à grimper !

On observe aujourd’hui une relocalisation de l’industrie au profit des pays plus proches dont la Tunisie fait partie : on passe de l’offshore au nearshore.

C’est sur ce constat que nous avons basé le modèle économique de 3DM : proximité, technicité à un coût qui défie les prix des studios asiatiques.

Gatsby Le magnifique
Crédit: Gatsby Le magnifique – Warner Bros

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