Hue Dada !

Annecy 2020 : Hue Dada ! se lance et présente ses ambitions

3DVF : Toujours dans la souplesse, vous évoquez un montage proche des plateaux TV grâce au temps réel : quel sera l’impact en amont, sur les phases de storyboard/layout ?

Jean-François Ramos : Le même que pour les plateaux TV : selon les projets, les histoires que l’on a à raconter, il est parfois intéressant d’avoir un storyboard, de faire une previz pour bien préparer le travail. Mais le découpage peut aussi se faire à la volée, directement avec l’animation, le lighting, le précomp, le tout affiché en temps réel. Cela se rapproche de la captation de clips, matchs de foot ou autre événement live. Nous appelons ce système que nous avons développé la méthode « HueCapta ». Nous en reparlerons bientôt.
Nous avons aussi un outil qui permet de “shooter” le storyboard directement en Réalité Virtuelle, nous l’avons évoqué à maintes reprises lors de conférences au festival d’Annecy, au SIGGRAPH 2019 ou au RADI d’Angoulême. Cela a évidemment un impact sur la méthode classique du storyboard, en permettant le cadrage des plans avec une caméra virtuelle en immersion complète dans les décors mais aussi sur le layout qui bénéficie des informations enregistrées par la caméra virtuelle (cadre, distance, objets présents…), ce qui réduit significativement les erreurs.
Mais n’oublions jamais une chose primordiale : un outil ne restera jamais qu’un outil, le plus important est le talent qui l’utilise et l’objectif pour lequel il l’utilise.

3DVF : Avec toutes ces avancées, vous avanciez aux RADI-RAF un objectif ambitieux : passer de 4 ans à 4 mois pour la sortie du premier épisode d’une série. Quelles sont les conséquences en termes de réalisation mais aussi de coût pour le client ?

Jean-François Ramos : Pour nos clients c’est un gage de compétitivité, dans un respect de la qualité. En termes de réalisation nous nous rapprochons de plus en plus de la logique des plateaux de tournage « live », avec des équipes qui collaborent, un réalisateur qui donne ses indications en direct etc…

Les Hoofs – TFOU © 2020 TF1

3DVF : Une question pour Fabrice Delapierre (CG Sup/réal) et Jérôme Mouscadet (Directeur artistique/réal) : vous disposez tous deux d’une carrière très remplie. Jérôme réalise en animation depuis 15 ans et a géré plus de 300 épisodes de série, Fabrice a débuté dans les années 90 chez Ex Machina… Vous avez tous deux vu défiler les innovations techniques. En quoi le métier de réalisateur en animation a évolué, depuis vos débuts ? S’agit-il encore du même métier, malgré les révolutions en production et fabrication ?

Jérôme Mouscadet : Fondamentalement, la qualité de réalisateur, à mon sens donner des intentions littéraires, esthétiques et narratives, bref rendre réel des histoires, ne changera véritablement jamais.
En revanche, le rapport à la technique fait évoluer le métier sans cesse !

Je prends souvent l’exemple des Impressionnistes qui ont révolutionné leur art, car l’invention du tube de peinture leur a permis de sortir des ateliers pour aller peindre sur le motif. Pour nous c’est un peu pareil sauf que nous sommes dans un travail collaboratif avec des équipes souvent nombreuses. Tout l’art est de faire passer au mieux les intentions artistiques à tous niveaux et à tous les talents impliqués. Et pour cela, la technologie est d’un précieux secours : par exemple, au début des années 2000, grâce à l’apparition des logiciels de montage et d’effets, on a créé des animatiques très poussées sur Code Lyokô ce qui a permis de réunir en un seul objet les intentions de cadrage, de mouvement et de durée; auparavant ces tâches étaient séparées, aujourd’hui on ne se pose plus la question… Et pourtant si ! Et c’est cela qui me plait, questionner toujours les moyens mis à ma disposition pour raconter au mieux et donc, encore une fois, transmettre efficacement les intentions à toute l’équipe.
Jean-François l’a évoqué, grâce à notre outil de storyboard VR, j’ai réalisé les 26 épisodes de la saison 2 de Heidi en plongeant en immersion complète dans les décors avec les storyboarders pour cadrer les plans avec une caméra virtuelle. Cela nous a permis de mieux penser la mise en scène en dialoguant in situ, de mieux raconter les histoires en choisissant les meilleurs angles de caméra directement dans les décors et en plus, on évite tous les problèmes de rapports de tailles et de distance, qui s’accumulent quand on fait uniquement un storyboard en dessin. Ainsi on prépare au mieux le layout.
Autre exemple : pour corriger une lumière dans un plateau de tournage, bouger une caméra, modifier un montage, je m’assois aujourd’hui à côté du graphiste, lui indique la direction ahrtistique et je peux voir avec lui en temps réel le résultat, corriger, affiner le cadre, la lumière. Alors que dans une chaîne de fabrication traditionnelle, cela exige de longs temps de calcul, de nombreux et fastidieux aller-retours de fichiers pour finalement voir une image qui ne donnera pas forcément satisfaction, et qu’il faudra alors corriger, en répétant le même processus, lourd, long et « aveugle ».

Finalement, je pense que mon métier va s’apparenter de plus en plus au réalisateur/ directeur artistique de live qui travaille sur un plateau de tournage pour donner les intentions aux équipes et obtenir un résultat collaboratif de qualité. Franchement, c’est génial !

Fabrice Delapierre : Bien évidemment, le métier a évolué avec les techniques, les images deviennent de plus en plus complexes et le contenu a considérablement changé. Toutes ces évolutions ont permis au monde de l’animation de s’immiscer sur divers supports de diffusion et dans de nombreux domaines artistiques, comme le cinéma, le jeu-vidéo, la télé, etc…
Pour autant, la philosophie fondamentale de ce métier continue d’être régie par les mêmes règles : un visuel, une bonne histoire, une bonne compréhension du sujet et un équilibre entre le budget, le planning et les moyens de production pour arriver au résultat souhaité.
L’équilibre de tous ces facteurs permet de garantir la viabilité des projets et de pérenniser l’industrie.

3DVF : Qui dit temps réel dit possibilité ou tentation de multiplier les retakes jusqu’au dernier moment. Quelle est votre réflexion sur le sujet ?

Jean-François Ramos : La tentation des retakes est toujours présente, temps réel ou pas. Disons qu’aujourd’hui elles sont plus faciles à intégrer, tracker… mais évidemment coté prod, des quotas sont tout de même nécessaires, nous ne pouvons pas laisser la porte ouverte à des retouches d’image, de caméras, de lighting… permanentes.
Cette question est en tout cas vraiment intéressante, car quand on s’y penche, on réalise vite que c’est un sujet assez vertigineux, qui demande une réelle harmonie de travail entre production et réalisation. Et chez Hue Dada, le dialogue permanent entre réalisation, production et technique est l’ADN de notre entreprise. Nous assumons avec un certain humour – voire un certain plaisir – nos désaccord, les petites frictions naturelles. Au final, je suis convaincu que le temps réel va permettre une direction artistique plus poussée et à la production de mieux absorber les retakes demandées.

3DVF : Au niveau matériel, pouvez-vous nous donner quelques informations sur vos choix techniques, qu’il s’agisse des stations ou de votre renderfarm ?

Quentin Auger : Comme nous utilisons pour le moment Unity au minimum pour le rendu final de nos productions et pour certaines en VR et aussi des applications de créations graphiques VR autonome, les machines mises à disposition des graphistes sont généralement très puissantes côté carte graphique et mémoire (NVIDIA GTX/RTX 1080 à 2080). Côté casques VR : Oculus Rift S surtout et, pour certains usages moins demandeurs de manipulations fines que les Oculus Touch permettent, des casques HTC Vive. Mais tout cela évolue très vite !

Du fait que le rendu est « temps réel » sur Unity (disons au moins très accéléré puisqu’on peut se permettre quelques secondes par image si on fait du 8k par exemple), pour l’instant pas besoin de render farm. Cependant nous allons vers l’augmentation des automatisations déportées (baking, caches, scene built etc.) qui pourront utiliser des machines en ferme. La priorité est donnée à celles des graphistes si disponibles, mais puisque nous travaillons déjà en structure Cloud, allouer quelques machines en plus en ligne ne sera pas un problème.

Ci-dessous : le court-métrage Sherman, dévoilé par l’équipe Unity (Hue Dada ! n’était donc pas impliqué dans ce projet) durant le Festival d’Annecy 2019 afin de mettre en avant les capacités d’animation et rendu du moteur 3D temps réel. Le projet peut être téléchargé gratuitement, moyennant le remplissage d’un formulaire.

3DVF : Vous allez également vous appuyer sur la réalité virtuelle, un outil qui fait encore débat : certains studios se lancent pleinement dans l’usage de cette technique, d’autres sont plus prudents. Comment utiliserez-vous cet outil ?

Jean-François Ramos : Pour nous la réalité virtuelle est un outil comme la tablette graphique, un smartphone, c’est une avancée incroyable, voire une révolution, mais c’est un outil dont on doit se servir quand il apporte quelque chose de plus.
Nous pouvons en tout cas vous dire en exclusivité que notre première production maison sera fabriquée en très grande partie en réalité virtuelle (et en temps réel évidemment !).

Quentin Auger : L’intérêt principal de la VR est la qualité de la perception de l’espace grâce à l’immersion et la rapidité et simplicité de certaines manipulations grâce aux contrôleurs qui s’utilisent dans les 3 dimensions. Lorsque ces 2 qualités sont utilisées à bon escient (pour du repérage, du design ou du layout par exemple) et que le résultat obtenu est utilisable ailleurs grâce à un pipeline adapté, cette technologie devient inévitable, comme l’usage des stylets et des tablettes graphiques en fait…

3DVF : Votre plaquette évoque la motion capture et le machine learning… Concrètement, comment utiliserez-vous ces outils ? Pour la mocap, disposez-vous d’un studio en interne ?

Quentin Auger : Ces deux domaines sont pour l’instant en grande partie au « labo », voire en collaboration avec des laboratoires de recherche et en veille technologique. Nous communiquerons dessus dès que des résultats seront diffusables. Bien sûr il y a des domaines où l’IA est déjà utilisable via des outils du commerce, comme des denoisers par exemple.
Par ailleurs, pour nous la mocap telle qu’entendue par le grand public (captation du mouvement d’un corps entier) n’est qu’une forme de marionnettisme. Et celui-ci, plus globalement, est ce qui nous intéresse du fait de sa capacité à générer de l’animation temps réel pas forcément réaliste et à quasiment en “improviser” !

3DVF : Vous évoquiez aux RADI-RAF les liens entre Hue Dada ! Productions et l’Asie, pouvez-vous nous en dire plus ?

Jean-François Ramos : Nous avons d’ores et déjà un partenariat fort avec un studio indien Tata ELXSI Ltd. Nous nous appuyons sur leurs équipes avec lesquelles nous collaborons depuis des années, lorsque cela est nécessaire.

3DVF : Emmanuelle Chabord, en tant que Directrice Financière, on imagine qu’une des tâches clés lors de la fondation de l’entité a été de monter un business plan et de s’assurer de la viabilité économique de la future entité : un point qui n’est peut-être pas forcément bien connu des artistes qui nous lisent, surtout les plus jeunes. Comment s’est déroulé ce processus ?

Emmanuelle Chabord : Effectivement le business plan est un exercice obligatoire, et un outil de pilotage indispensable, pour toutes les sociétés et encore plus pour celles qui débutent. Ce ne sont pas que des chiffres. C’est d’abord la définition d’un business model et ensuite une traduction chiffrée, qui doit être ajustée régulièrement. Que vendons-nous, à qui, comment, quel est notre positionnement ? Puis dans notre cas, en chiffres : combien de minutes nous voulons produire pour notre compte et pour celui d’autres producteurs, quels seront les frais fixes (ceux qui ne varient pas en fonction de l’activité 3DVF : vous produisez ou pas, il faut payer le loyer), comment financer les productions et couvrir les frais fixes, etc. Les hypothèses ont été discutées avec tous les départements qui sont représentés, chez Hue Dada, par les différents associés. C’est un travail collaboratif car il faut appréhender les besoins et les ressources de chaque département, consolidés au niveau de la société. Le business plan s’ajuste très régulièrement pour une jeune société, notamment en fonction des événements (objectifs qui se réalisent ou non, se décalent dans le temps, etc.) Après moult versions de business plan, nous avons un modèle économique qui fonctionne et qui nous a permis d’aller chercher des investisseurs.

L’équipe Hue Dada ! – © Julie Ansiau

3DVF : Hue Dada ! Productions ayant vocation à gérer des propriétés intellectuelles pensées par des tiers, il est évidemment essentiel, dès le départ, de mettre les partenaires en confiance et de s’assurer que les univers seront respectés. Quelques mots sur ce point, d’un point de vue éditorial/artistique ?

Sophie Decroisette : Vous avez raison, c’est un point fondamental !
Côté prestation, nous analysons d’emblée avec Jérôme, les univers sur lesquels nous travaillons : d’un point de vue artistique et littéraire bien sûr mais aussi la chaîne des droits, afin de comprendre la propriété qu’on nous confie dans toutes ses dimensions.
Jérôme et moi collaborons ensemble depuis plus de 15 ans : nous avons travaillé sur de nombreuses séries d’animation et notamment plusieurs où nous n’étions pas les auteurs d’origine. Cela nous a formés concrètement à comprendre les désirs des ayant-droits et à les traduire au mieux, avec respect. Cette traduction est toujours le fruit d’un rapport de savoir-faire, de références partagées et bien sûr de rapports humains. C’est parfois difficile mais c’est souvent un travail passionnant !
Côté production, Hue Dada ! a l’ambition d’attirer les meilleurs talents, les meilleurs auteurs graphiques et littéraires. Là encore, la confiance est essentielle ; elle passe par une fine compréhension des savoir-faire de chacun et du droit d’auteur. Très investis dans les associations d’auteurs de l’animation et en même temps dans l’aventure Hue Dada ! nous avons la conviction profonde qu’une harmonie entre les producteurs et les auteurs est la base de projets réussis.

3DVF : Pour finir, recrutez-vous ? Si oui, quels profils cherchez-vous ?

Jean-François Ramos : Nous avons actuellement tous les profils dont nous avons besoin. Nous privilégions les profils mixtes, alliant graphisme et technique. Évidemment la maîtrise du temps réel et une expérience de softs de réalité virtuelle est un plus. Une expérience dans le “live” ou le jeu vidéo peut nous intéresser aussi.
Nous espérons avoir besoin de recruter massivement à moyen terme, cela voudra dire que nous avons réussi notre pari !!!

Pour en savoir plus

  • Le site de Hue Dada ! Productions, qui vient d’être lancé ; vous pourrez y retrouver les futures actualités de l’entité, ses projets et services ;
  • L’équipe Hue Dada ! participe au Festival d’Annecy Online : si vous êtes accrédités n’hésitez pas à contacter le studio via Annecy Network !

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