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Thomas Campos, previz/rough layout artist

Thomas Campos
 
 
Actuellement en poste chez Sony Pictures, Thomas Campos est un artiste dont le métier est souvent méconnu au sein même de l’industrie de l’image : previz/rough layout artist. Un secteur qui a souvent la réputation de ne pas laisser de place à la créativité.

Désireux de casser les clichés, Thomas Campos nous explique donc dans cette interview se qui se cache vraiment derrière son titre.

Il en profite pour revenir sur certains projets (bande-annonce de Beyond Good and Evil 2, série Love, Death & Robots, le film La Grande Aventure Lego 2), ses outils ou encore l’impact des contraintes de confidentialité sur la recherche d’emploi dans son secteur.

Thomas Campos Previz Reel 2018 from Campos Thomas on Vimeo.

3DVF : Pour commencer, peux-tu nous présenter ton métier, à savoir Previz/Rough Layout Artist, en quelques mots ?

Thomas Campos : En Previz/Rough Layout, on va “prévisualiser” tout ce qui va se passer dans un film, on se concentre sur l’action, comment on va filmer et mettre en scène l’histoire en utilisant les personnages, caméras, lights et tout ce qui nous permet de raconter l’histoire et de pouvoir visualiser le film dans son entièreté.

3DVF : Quel est ton parcours, et pourquoi t’être orienté vers cette spécialisation ?

J’ai fait mes études à Isart Digital où j’ai suivi le cursus Cinéma 3D. Dans cette école on est formés à être généralistes, on peut se spécialiser mais on apprend de tous les départements d’une production. Du coup pendant mes études, j’ai commencé la 3D en adorant le modeling, puis quand on a commencé l’animation 3D je me suis dis que finalement, c’était l’animation que j’aimais le plus.

À la fin de mes études, j’ai eu la chance d’avoir été pris en stage chez Fortiche en tant qu’animateur sur un petit projet. À cette époque je ne connaissais pas vraiment la Previz/Layout et c’est à ce moment là que j’ai découvert ce que c’était. Un gros projet s’est lancé à Fortiche et puisqu’il n’y avait pas encore d’animation à faire, j’étais dans le département Modeling pendant quelques mois. Un jour Jérôme Combes, co-fondateur de Fortiche me propose d’essayer le Rough Layout. J’ai découvert ce département à ce moment là, c’était le pied et je n’ai pas arrêté depuis ce jour!

Beyond Good and Evil 2
Beyond Good and Evil 2 – bande-annonce de l’E3 2018 – Unit Image & Ubisoft Montpellier
3DVF : L’une des raisons de cette interview, c’est la méconnaissance de ce métier : tu nous avais indiqué que bien des amis ou collègues n’avaient qu’une idée vague de ce que tu faisais…

Ouais ! C’est vraiment un département spécial et dans l’ombre.
Ce que l’on apprend en école est parfois vraiment différent que ce qu’est le Layout en réalité, c’est abordé très en surface et ça n’en donne pas la meilleure image, du coup, ça ne donne pas vraiment envie.
Il y a aussi le fait que certains studios utilisent le terme Layout pour définir deux choses différentes, le « Rough Layout » plus proche de la Previz et le Layout qui est plus proche de « l’Assembly » où c’est plutôt préparer la scène, faire du set dressing pour créer l’environnement.

3DVF : Quand tu leur parles en détail de ton métier, qu’est-ce qui surprend le plus les gens ?

À quel point c’est créatif !
Les gens sons souvent très surpris de la liberté qu’on va avoir en Layout.
Ce que l’on peut facilement croire c’est « qu’il faut recopier le storyboard ».

La réalité de l’industrie c’est que le storyboard sera une bonne base de départ à utiliser comme un script/guide, mais nous sommes souvent amenés à proposer de nouvelles idées, devoir apporter des solutions à des choses qui fonctionnent bien en 2D mais pas en 3D.

3DVF : Peux-tu nous décrire une journée ou une semaine type de ton travail ?

Alors ça change pas mal entre différents artistes, je vais donc parler de mon workflow personnel car il y a une tonne de façons différentes d’approcher sa séquence.

De mon côté, une semaine type serait le fait de commencer la séquence en regardant le storyboard plusieurs fois, bien comprendre ce qui veut être raconté dans la séquence pour ne pas passer à côté et appuyer le message avec la mise en scène et les caméras.
Trouver et s’imprégner de références avant même d’ouvrir Maya.

Quand je me lance en 3D en général, j’essaie de faire un lighting très rapide juste pour voir où seraient les éventuels endroits où il serait intéressant de filmer l’action pour gagner du temps dans la production et pourquoi pas trouver des idées de mise en scène avec la lumière dès le Layout. Si c’est une scène d’action, je préfère animer presque toute mon action en vue de perspective, bien me concentrer sur le timing de l’action. Après cette passe d’animation qui est juste à un niveau de blocking, je vais commencer à créer des caméras, me servir du board en référence, faire des alternatives et modifier mes animations en fonction de mes caméras pour avoir quelque chose qui fonctionne.
Une fois la première passe terminé, on montre ça au superviseur, puis au réalisateur, et là ça devient très organique, on change beaucoup de choses, on échange nos idées, ce que l’on peut essayer, améliorer et c’est beaucoup d’allers-retours jusqu’à que la séquence fonctionne et plaise au réalisateur (ou qu’elle soit supprimée, haha).

3DVF : Outre la méconnaissance au sein même du secteur professionnel, le métier de Previz/Rough Layout Artist souffre peut-être d’un certain désintérêt de la part des étudiants et étudiantes. Penses-tu que ce soit le cas, et quelles en sont les raisons ?

Oh je pense que c’est en grande partie tout à fait le cas.
Lorsque j’étais étudiant, le Rough Layout ne me tentait vraiment pas du tout, c’est un département où il est difficile de faire une bande démo en dehors du film de fin d’études. Il est très compliqué de pouvoir rejoindre un gros studio quand on est fraîchement sorti d’école, donc très souvent la première expérience se fait en Série Tv et c’est assez compliqué de pouvoir pousser son Layout car on a souvent moins de temps et de budget.

Donc dans beaucoup de cas, après la première expérience en Rough Layout de série TV, certains artistes gardent une mauvaise expérience en tête et passent le mot à leurs amis, collègues, étudiants.

Mais avec le manque de formation, d’artistes et le nombre de productions dans le monde qui ne cesse de grandir, je pense et j’espère que ça va changer!
Rien que le mois dernier, il y avait simultanément Disney, Pixar, Blizzard, Blur, Illumination, Sony qui étaient à la recherche de Rough Layout Artists.

3DVF : Comment faire pour que cette image évolue ? Aurais-tu d’ailleurs un message pour les personnes qui nous lisent et sont encore en école ?

Je pense que l’image du Rough Layout évolue, on voit des studios spécialisés dans la prévisualisation comme Les Androïds Associés travailler sur de superbes projets en France, il y une demande grandissante et un manque d’artistes évident (en tous cas ici en Amérique du Nord et en France, quand j’y étais).
Et je pense que si un étudiant curieux est intéressé par ce département, il ne faut pas hésiter à contacter les artistes et studios travaillant en Rough Layout.
Contacter certains studios comme les Androïds associés qui proposent des test. Une bonne lettre de motivation, montrer des bases en animation/cinématographie et une envie d’apprendre, pouvoir faire des tests est une bonne opportunité pour un Layout Artist.

3DVF : Revenons sur certains de tes projets récents. L’an passé, tu as travaillé sur le rough layout de Beyond Good and Evil 2 et sur Derrière La Faille (Beyond the aquila rift en VO), un des épisodes de la série animée d’anthologie Love, Death & Robots de Netflix. Peux-tu nous en dire plus sur ces deux projets ?

Le trailer de Beyond Good and Evil 2 à Unit Image était vraiment intéressant car c’était la deuxième expérience de ma vie en tant que Layout Artist. Et  la première fois que je travaillais sur 3ds Max.
Donc gros changement, j’étais sur la seconde partie de la bande-annonce, dans l’espace avec les vaisseaux. C’était un gros challenge car il n’y avait pas de board. Le superviseur Guillaume Marques avait préparé des références et on se basait sur des idées de différents projets et films pour créer toute la séquence dans l’espace. Une expérience vraiment intéressante.

Pour ce qui est de Love, Death & Robots, les personnages étaient en motion capture, ce qui fait que sur motion builder avec la Mocap, on se concentre beaucoup plus sur les caméras puisqu’il n’y avait pas de personnages à animer.
Pour ma part je ne travaillais pas sur les séquences avec personnages, j’étais sur 3Ds max pour faire les shots d’extérieur avec les vaisseaux spatiaux mais c’était quand même bien sympa !

3DVF : Plus récemment, chez Animal Logic, tu faisais partie de l’équipe de La Grande Aventure Lego 2. Sur quelles séquences as-tu travaillé, et comment les as-tu abordées ?

Une des séquences sur lesquelles j’ai travaillé est celle où Lucy affronte Sweet Mayhem dans la salle de contrôle.
Pour cette séquence, l’idée principale était d’avoir un scène de combat un peu à la Kill Bill. Utiliser le décor pour se battre, casser pas mal de trucs et s’en servir pour taper sur l’autre.

Après avoir passé du temps sur Youtube à m’imprégner du style. J’ai passé pas mal de temps à regarder mon décor en vue de perspective, voir qu’est ce qui pourrait être intéressant à faire, quels props j’ai et quelle « chorégraphie » sympa est possible.
Lorsque j’ai mon idée, je me lance, j’anime mes personnages en vue de perspective puis comme dit plus haut, je crée mes caméras et fais mes changement d’animation en fonction de mes angles !
L’anecdote de cette séquence est qu’après avoir terminé toute mon animation et mes caméras, le décor a totalement changé et j’ai dû tout recommencer.
Il y avait eu trop de changement dans le décor pour que je puisse réutiliser mes animations. Ça arrive souvent haha.

3DVF : Sur ce film, tu t’appuyais sur XSI qui est donc encore utilisé chez chez Animal Logic, malgré la fin du développement. Penses-tu que Softimage|XSI a encore des atouts par rapport à la concurrence ?

Alors je vais parler uniquement de ce que j’ai vu et compris à Animal Logic, je ne sais pas comment les autres studios utilisant toujours Xsi se débrouillent.
Je vais commencer par dire que Xsi n’est plus développé certes mais il est quand même vachement solide. J’appréhendais un peu au début mais au final, ça reste une timeline, des caméras, un graph editor tout à fait normal ! Le logiciel de 3D n’est qu’un outil et un artiste pourra toujours s’adapter.
Après, le pipeline créé par Animal Logic pour travailler sur les films Lego fonctionne très bien, aucune raison pour eux de le changer, je pense qu’ils continueront de faire les films Lego sur Xsi !
Cela dit, le prochain film d’animation d’Animal Logic n’étant pas un film Lego, le Rough Layout se fera sûrement sans Xsi !

DEMOREEL_2018 from androids on Vimeo.

Ci-dessus : la dernière bande démo en date des Androïds Associés

3DVF : Tu as aussi travaillé chez les Androïds Associés, sur un projet encore non officialisé et dont nous ne pourrons donc pas parler en détail. Peux-tu néanmoins nous donner quelques éléments sur le studio et son organisation, ainsi que sur ton usage de Motionbuilder chez eux ?

Les Androïds associés… L’une des meilleures expériences de ma vie. Les Andros, c’est un studio de previz basé à Paris sur les Champs Élysées. Fondé par des artistes passionnés de réalisation et de cinématographie, j’ai ressenti cette superbe ambiance familiale au sein du studio très rapidement, ils sont vraiment talentueux, patients et super pédagogues. Avis à tous ceux qui s’intéressent à la Previz et au Rough Layout, vraiment une superbe boîte à contacter!

Pour mon usage de MotionBuilder aux Androïds, c’était aussi une expérience très agréable !
J’avais un peu peur d’encore une fois devoir changer de logiciel et perdre mes repères, mais avec la fluidité de MotionBuilder, les possibilités du graph editor, la facilité avec laquelle on donne du réalisme aux mouvements de caméras grâce aux outils du logiciel et ceux développé en interne, c’était une très agréable surprise !

3DVF : Enfin, tu es actuellement à Vancouver chez Sony Pictures Imageworks, sur la prochaine production animée de Chris Miller et Phil Lord : The Mitchells vs. the machines, qui sortira en 2020. Là encore, il est trop tôt pour évoquer le film lui-même. Parlons donc plutôt de Sony : l’organisation de ton équipe et la philosophie du studio diffèrent-elles de ce que tu as connu chez Animal Logic ?

Je pense que la première différence entre Sony et Animal Logic qui m’a sauté aux yeux, c’est la taille. Lorsqu’Animal Logic Vancouver travaillait sur Lego 2, un film, l’équipe comptait un peu plus d’une centaine de personnes. Sony travaille actuellement sur environ 7 films, c’est vraiment grand et intimidant !
L’avantage c’est le fait de pouvoir rencontrer énormément d’artistes talentueux travaillant sur des projets totalement différents, et il y à aussi pas mal de Français ici !

The Mitchells Vs. The Machines

3DVF : On l’a vu, tu utilises des outils très variés selon les projets et studios : Maya, Max, MotionBuilder, XSI en previz rough Layout… Est-ce que ce changement fréquent d’outil est parfois un problème, par exemple en arrivant dans un nouveau studio ?

Vraiment, non. Il faut bien communiquer avec les studios si on connaît ou non les logiciels, très souvent, ils le savent et ont toujours quelques jours ou semaines dédiées aux formations des logiciels et outils. En tant qu’artiste, ce n’est pas vraiment l’outil qui va définir si on va pouvoir réaliser de bonnes séquences, après quelques semaines, on s’habitue et on s’adapte. Je pense que c’est aussi une très bonne chose de changer et de sortir de sa zone de confort.
Découvrir les autres logiciels permet d’explorer quelles sont les fonctionnalités qu’on a ou pas dans l’un et l’autre, de découvrir et expérimenter de nouvelles façons de travailler et de s’organiser. Je pense sincèrement qu’il ne faut pas se brider et ne pas refuser de tenter sa chance dans un studio uniquement car le studio ne travaille pas sur son logiciel de prédilection !

3DVF : Les studios sont souvent très frileux quand il s’agit de montrer la prévisualisation ou le rough layout. Ce qui crée de multiples problèmes : les studios spécialisés ne peuvent généralement montrer leur travail que bien après la sortie des projets (voire ne le peuvent jamais), les gros clients exigent parfois des retouches de la prévisualisation pour qu’elle colle mieux au film final et pour ne pas montrer les hésitations/changements.
Côté artistes, on imagine bien la difficulté que ces contraintes peuvent poser lors du recrutement. Ta bande démo se compose d’ailleurs d’images finalisées, pas vraiment représentatives de ton vrai travail.
Comment perçois-tu ces contraintes, et comment affectent-elle la recherche d’emploi dans le milieu ?

Ce souci est en effet problématique pour les artistes et recruteurs !
Et je suis dans ce cas, nous n’avons pas le droit de montrer notre Previz / Rough Layout dans nos bandes démos dans la plupart des cas.
Ça crée un problème pour les artistes car on ne peut pas montrer si on sait pousser notre séquence, si on sait animer, lighter, prévisualiser des FX… Ce qui rend la chose toute aussi compliquée pour les recruteurs.
C’est dur de juger le travail de quelqu’un uniquement avec le produit final. Combien de personnes sont passées avant ? Après ? Est-ce que la personne sait « finaliser » une caméra ou y a-t-il eu quelqu’un dans le département Final Layout qui ait rendu ces caméras intéressantes ?

Tous ces petits problèmes rendent le recrutement en Rough Layout compliqué.

D’où l’importance… Des tests !
Plusieurs studios envoient des tests et je pense que c’est un outil indispensable tant pour les artistes que pour les recruteurs/superviseurs.

Aussi, Le monde du Rough Layout est vraiment petit, du coup, les recommandations jouent un rôle très important dans ce département, beaucoup de superviseurs se connaissent et communiquent entre eux, ce qui aide à faire face à ce problème d’impossibilité de montrer son travail !

Beyond Good and Evil 2
Beyond Good and Evil 2 – bande-annonce de l’E3 2018 – Unit Image & Ubisoft Montpellier
3DVF : Pour finir, comment vois-tu la suite de ta carrière ?

Ohlala, j’ai déjà du mal à réaliser où je suis actuellement. Je pense rester au Canada et aux Etats Unis pour les prochaines années, j’apprends encore beaucoup de choses tous les jours, je profite de l’opportunité que j’ai et pour être honnête tout s’est passé tellement vite qu’aujourd’hui je ne sais pas vraiment où je me vois dans la suite de ma carrière !
Retourner en France ? Car quand même, la France est géniale. Ou aller tenter l’expérience en Californie ?
On verra!

Pour aller plus loin

– Le profil LinkedIn de Thomas Campos.

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