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Le jeu vidéo se serre la ceinture au Québec ; la France pourrait suivre

Canada

Alors que le Royaume-Uni vient d’annoncer des aides pour l’animation et le jeu vidéo, et tandis que la campagne présidentielle française semble résolument éviter d’évoquer la culture (et a fortiori la création vidéoludique), le Canada annonce des mesures qui risquent de bouleverser le secteur du jeu vidéo.

Canada : temps morose pour Ubisoft et EA

Comment le rapportent Le Figaro ou LaPresse.Ca, le nouveau budget fédéral prévoit en effet de trancher dans les crédits d’impôt pour la R&D des grands groupes étrangers. Le but : une économie de 1,3 milliard d’euros. Problème, les gros éditeurs non canadiens mais fortement implantés sur place tels que EA, Ubisoft ou Eidos profitaient largement de ces avantages.
Ainsi, le crédit d’impôt remboursable passera de 20 à 15 % ; dès 2014, nous indique LaPresse.ca, les dépenses telles que le matériel informatique seront exclues du calcul, la part des salaires applicable passera de 65 % à 55 %, et la R&D sous-traitée ne pourra plus être déduite qu’à hauteur de 80 %, contre 100 % actuellement.
Au Québec, les éditeurs pourront toutefois bénéficier d’un crédit d’impôt spécifique : jusqu’à 37,5 % des salaires du studio. Une contrepartie qui limitera la casse.

L’impact concret se fera sentir en 2013 puis 2014 selon les mesures ; les éditeurs pourraient alors en profiter pour privilégier le développement de jeux sous des cieux plus accueillants, comme aux USA ou en Irlande.
Alors qu’une étude parue en février 2012 dressait un tableau très flatteur du secteur du jeu vidéo au Québec (8000 emplois en 2011 contre 1200 en 2002), ces annonces pourraient bien inverser la tendance, ou du moins ralentir l’essor des studios.

Royaume-Uni : fin de l’hémorragie ?

Pour le Royaume-Uni, cette annonce est évidemment une très bonne nouvelle. Les mesures fiscales récemment adoptées (en parallèle de celles sur l’animation) visaient déjà à contenir la fuite inexorable des studios : selon une étude de Game Investor Consulting (qui est favorable au développement du secteur au Royaume-Uni), 10 % des emplois du jeu vidéo auraient été supprimés entre 2008 et 2011. Sur la période 2009-2011, 41 % de ces emplois perdus auraient en fait été délocalisés… Dans des pays ayant une politique fiscale plus avantageuse, Canada en tête.

Les mesures d’austérité annoncées par Ottawa, combinées avec les mesures du Royaume-Uni, pourraient donc donner un nouveau souffle au jeu vidéo outre-Manche.

France : ne pas se réjouir trop vite

Quid des répercussions pour les entreprises françaises ? Selon Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) interrogé par Le Figaro, il n’y aura pas de révolution. Il souligne que le Canada reste un lieu avantageux pour produire des jeux par rapport à l’ensemble de l’Europe ; il cite aussi le secrétariat d’État au Commerce extérieur, selon qui la France a perdu la moitié de ses emplois dans le domaine. Avec ces mesures, il y aura sans doute plus un rééquilibrage qu’une avancée notable.

Il faut aussi souligner que la situation dans l’hexagone pourrait empirer : le Crédit d’Impôt Jeu Vidéo Français, lancé en 2008 pour une période de quatre ans, s’est éteint comme prévu en janvier, sans relève pour le moment. Et il pourrait ne pas être renouvelé.
Cette mesure permet actuellement aux studios de déduire 20 % des dépenses de développement sur leurs impôts, dans la limite de 3 millions d’euros et sous réserve de respecter certains critère : jeu ni violent ni pornographique, budget supérieur à 150 000€, présenter une dimension culturelle européenne. Ce dernier critère a permis de faire passer la mesure auprès de la Comission Européenne : le mesure ne devait pas être une aide masquée à l’ensemble du secteur du jeu vidéo français, ce qui aurait créé une distorsion de concurrence.
Attention, qui dit « dimension culturelle » ne veut pas forcément dire jeu éducatif : comme l’indique le Figaro, citant le CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée), elle se définit par « la qualité, l’originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques » qui « contribuent au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ».
Concrètement, cela signifie qu’un studio comme Quantic Dream a pu bénéficier du crédit d’impôt, David Cage ayant même été jusqu’à affirmer que sans cette aide, son studio serait sans doute déjà parti au Canada.

Mais pour Bruxelles, les arguments d’autrefois ne tiennent plus : la Commission souligne que l’essor des jeux sur mobile ou sur les réseaux sociaux a largement augmenté le marché potentiel ; la rentabilité serait donc plus facile, et les aides ne seraient plus justifiées. Le site Develop, de son côté, croit savoir que les vraies raisons pourraient se situer du côté des risques de distorsion de concurrence. La Commission pourrait donc aussi choisir de s’opposer aux aides du Royaume-Uni.

Pour en savoir plus : Le Figaro a publié deux articles très complets de Chloé Woitier sur les mesures au Canada et sur le Crédit d’Impôt Jeu Vidéo Français.

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