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Annecy 2019 : Autodesk, Sony, Xilam et Tu Nous Za Pas Vus, plusieurs visions de l’open source

Dans le cadre des conférences organisées au Festival d’Annecy/MIFA 2019, une thématique intéressante a été abordée : l’open source.
Pour en discuter, plusieurs acteurs de l’industrie de l’animation :
– Pierre Ducos, superviseur chez Xilam ;
– Matthiey Rey (co-gérant et superviseur 3D) et Françoise Bres (superviseuse pipeline) de Tu Nous Za Pas Vus Productions ;
– Michael Ford, vice-président du développement logiciel chez Sony Pictures Imageworks ;
– enfin, Guy Martin, directeur de la stratégie open source d’Autodesk.

Autodesk : un soutien affiché à l’ASWF

ASWF

Guy Martin a débuté le tour de table avec une présentation de l’ASWF (Academy Software Foundation), entité soutenue par l’Academy of Motion Pictures (qui organise les Oscars) et la Fondation Linux, mais aussi par des entreprises comme Autodesk.
Il a souligné ce qui a conduit à la création de l’entité : l’open source est largement employé au sein des studios d’effets visuels et animation, sous une forme ou une autre. Néanmoins, on constate bien souvent qu’une technologie open source donnée n’est soutenue que par un studio unique, sans réel partage des tâches dans l’industrie. Par ailleurs, les modèles de gestion et supervision des projets sont très divers et il n’y a pas de cadre légal unique pour l’utilisation et la contribution à ces projets. Enfin, on note un manque de cohérence dans les pratiques de développement logiciel et de test. 

Pour Guy Martin d’Autodesk, l’ASWF répond à tous ces problèmes en proposant un forum neutre susceptible d’établir bonnes pratiques, partage des ressources ou encore coordination entre différents projets. De même, les moyens pour participer sont clarifiés. 

En clair, cette partie de la présentation s’apparentait à une forme d’évangélisation : un rappel des enjeux, une invitation à se tenir au courant des nouveautés de la fondation et des projets (pour l’heure, l’ASWF gère les projets OpenVDB, OpenColorIO, OpenEXR et OpenCUE), mais aussi, pour les entités intéressées, à soutenir activement l’ASWF. Le « please join us » lancé en fin de présentation était d’ailleurs très clair.

Pour les personnes qui s’étonneraient de voir Autodesk soutenir l’open source, Guy Martin a souligné qu’il y a encore quelques années, il aurait sans doute été inenvisageable pour le groupe de participer à ce genre d’initiative. On notera aussi qu’en soutenant l’ASWF, Autodesk se retrouve aux côté de concurrents comme SideFX ou Foundry, mais aussi « nos amis de chez Blender », comme l’a indiqué Guy Martin. Si Autodesk n’a bien évidemment pas vocation à transformer 3ds Max ou Maya en logiciels libres, le groupe a bien compris qu’il s’agissait d’une tendance de fond qui n’est pas forcément négative pour l’éditeur. Du moins, pas lorsqu’il s’agit d’éléments comme ceux actuellement gérés par l’ASWF.

Guy martin
A droite, Guy Martin d’Autodesk

Sony : de l’open source pour le ciment, pas pour les briques     

Du côté de Sony Pictures Imageworks, Michael Ford nous a présenté une vision que l’on devine finalement assez proche de celle d’Autodesk. Il a rappelé que Sony Pictures Animation/Imageworks est à l’origine d’outils désormais commercialisés, comme Flix ou Katana, mais aussi que le studio s’est fortement impliqué dans le développement d’Arnold. Autant d’outils qui restent néanmoins propriétaires.

Depuis 2009, Sony s’était pourtant impliqué dans l’open source, pour plusieurs raisons. Il s’agissait notamment d’élargir le nombre de contributeurs à certains projets jusqu’ici internes, afin de mieux partager les tâches et donc de libérer des ressources pour le coeur de métier du studio : les films.
Pour autant, Sony ne compte pas « donner ses technologies ».
Comme l’a expliqué Michael Ford, la stratégie du groupe comporte en fait deux volets :
– les outils majeurs n’ont pas vocation à devenir open source. Les briques constituées par des outils à fort potentiel (comme Arnold ou Katana par le passé) resteront donc fermées ;
– en revanche, la « colle » (pour reprendre le terme employé durant la conférence), le ciment entre ces briques, qui consolide le pipeline et tient l’ensemble, a tout intérêt à être partagé. Ce fut par exemple le cas d’OpenColorIO ou d’Alembic.

Autodesk et Sony semblent finalement avoir une perception commune de l’open source : la protection du coeur technologique et des produits à potentiel commercial, tout en soutenant activement l’essor des standards ouverts désormais indispensables dans l’industrie.

Open Source

Xilam : Blender, un succès incontestable malgré des difficultés d’adoption

Avec une approche très différente, Pierre Ducos, superviseur chez Xilam, est revenu sur les coulisses du film J’ai Perdu Mon Corps. Ce dernier fut très bien accueilli durant le festival d’Annecy et s’appuie en grande partie sur Blender.
Il s’agissait pour Xilam d’une grande première sur une telle production. Pourquoi ce basculement ? Pas vraiment pour des questions financières ou politiques, mais pour l’outil Grease Pencil de Blender. Au départ simple fonction de prise de notes sous Blender, il est devenu au fil du temps un outil puissant permettant notamment d’animer en 2D et de dessiner dans l’espace 3D.

Pierre Ducos est revenu sur le processus de fabrication du film : Xilam, Gaoshan (La Réunion) se sont partagés les tâches et ont employé des outils variés : Flash (story, animatique), Blender (animation 2D et 3D), Toon Boom (colorisation), After Effects (compositing), Photoshop (décors).

Le coeur du processus a reposé sur la création d’une animation 3D sous Blender, avec poses clés et mouvement principaux. C’est ensuite la 2D (et Grease Pencil) qui prenait le relais pour pousser l’animation mais aussi les détails, comme les mouvements des cheveux. Grease Pencil a permis ici de gagner un temps considérable par rapport à une approche plus classique, sans perdre en qualité : comme beaucoup, nous avons d’ailleurs été agréablement surpris par le rendu final de J’ai perdu mon corps.

Doit-on y voir un succès total, et la preuve que Blender peut être adopté en un claquement de doigts ? Pas tout à fait. Pierre Ducos a notamment indiqué qu’il avait fallu former les animateurs 2D. Pour optimiser la transition vers Blender une version modifiée de l’interface de Blender avait été proposée aux animateurs, plus proche de ce qu’ils connaissaient déjà sous TVPaint ou Flash. Autre difficulté, celle de trouver des artistes compétents sous Blender : une grande partie des utilisateurs sont des autodidactes, et le niveau général est malheureusement assez bas. D’où la stratégie adoptée par Gaoshan : la formation à Blender d’artistes compétents mais qui utilisaient d’autres logiciels.

Au final, Pierre Ducos indique que l’équipe a « souffert » mais reste néanmoins positif : l’utilisation de Grease Pencil s’est avérée fructueuse. Au vu du Cristal du meilleur long-métrage remporté par le film et du rachat des droits du film par Netflix, on ne pourra qu’être de son avis.

Tu Nous Za Pas Vus : de Max à Blender, retour sur une transition

Evoquons enfin Tu Nous Za Pas Vus (TNZPV), studio représenté par Françoise Bres (supervision et développement du pipeline) et Mathieu Rey (co-gérant et superviseur 3D). 
Le duo nous a expliqué que le studio est passé sous Blender dans le cadre de la série animée DroniX (13 épisodes de 22 minutes), prévue pour la fin 2019 sur France Télévisions. Historiquement, TNZPV utilisait 3ds Max, mais a choisi de le délaisser en raison des développements de ces dernières années, jugés insuffisants par le studio.
Pour autant, ce n’est pas un pipeline 100% Blender qui a été adopté : les outils Substance ou Guerilla Render sont par exemple au coeur du processus créatif. Pour TNZPV, Blender représente une solution sur certains départements, mais pas pour tous. Plus globalement, le choix d’adopter ou non l’open source pour telle ou telle portion du pipeline ne repose pas sur une volonté politique, mais sur un critère unique : l’efficacité.

Dronix
DroniX

Dans la lignée d’autres témoignages de studios, TNZPV a insisté sur le fait que l’open source ne permet pas de faire des économies. L’argent non dépensé sur des licences est en fait réinvesti de deux manières : en développement (et donc en emplois internes au studio), mais aussi… En soutien financier : il serait en effet absurde de passer sous Blender sans aider son développement futur, a expliqué TNZPV. Un soutien qui se retrouve aussi par le partage de certains addons Blender créés au sein du studio puis publiés sur Github. TNZPV nous a enfin indiqué que plusieurs de ses projets en cours s’appuyaient sur l’open source, qu’il s’agisse de Blender ou de Kitsu, Krita.

En ce qui concerne les points négatifs, TNZPV a comme Xilam souligné le problème des recrutements d’artistes qualifiés maîtrisant Blender.

Open source : différentes stratégies, et une pression sur les éditeurs

Malgré les expériences positives de Xilam et Tu Nous Za Pas Vus sous Blender, Guy Martin d’Autodesk s’est montré confiant : pour lui, le logiciel apporte une « pression positive » qui poussera Autodesk à aller de l’avant. Il a aussi souligné l’initiative d’Autodesk permettant à certains clients Maya d’avoir accès au code source : une ouverture bienvenue, même si limitée.

Nous avons en parallèle apprécié la présentation de Sony, qui a permis d’éclairer la façon dont le groupe gère ses produits et développements.

Les retours de Xilam et Tu Nous Za Pas Vus vont dans le sens d’autres expériences de studios : si l’open source ne permet pas de faire baisser les coûts, le passage à Blender peut avoir du sens dans certains cas, en particulier lorsque ses spécificités sont exploitées avec autant de talent que dans le film J’ai perdu mon corps.
Le manque d’artistes formés reste malgré tout un problème important et on peut penser qu’il ne sera pas résolu tant qu’une masse critique de studios et écoles n’auront pas sauté le pas. 

Quoiqu’il en soit, l’open source sous toutes ses formes est devenu un élément incontournable de la stratégie des studios et éditeurs. Quel que soit l’avenir d’outils comme Blender, la création de l’ASWF et la mise en commun des ressources de l’industrie entière ne pourront qu’améliorer les techniques et méthodes de travail.

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