Accueil » Annecy 2018 : rencontre avec des femmes en compétition

Annecy 2018 : rencontre avec des femmes en compétition

Les Femmes s'Animent

Durant le Festival d’Annecy, l’association Les Femmes s’Animent proposait chaque matin des petits déjeuners informels ouverts à toutes et tous (quel que soit le niveau d’accréditation), à deux pas de l’Impérial Palace. Une bonne occasion de débuter la journée par une table ronde et un café, tout en échangeant avec les invitées sur différents sujets : lancement d’une association, focus sur le Brésil, écriture de personnages…

Le jeudi 14, des réalisatrices et artistes sont revenues sur leurs projets en compétition. Des films aux sujets souvent personnels et douloureux, comme nous allons le voir.

Anja Kofmel
Anja Kofmel

Anja Kofmel a entamé le tour de table avec son film Chris The Swiss. Ce long-métrage au croisement de l’animation et du documentaire retrace le parcours et la mort de Christian Wurtenberg, cousin d’Anja Kofmel.
Ce dernier, parti pour la Croatie dans les années 90 en tant que journaliste, fut retrouvé mort en janvier 1992. Fait surprenant, il portait l’uniforme d’un groupe de mercenaires internationaux qu’il avait apparemment rejoint. Les informations sur son décès sont floues et contradictoires : le dirigeant du groupe paramilitaire dont il portait les couleurs affirme qu’il a été tué par des snipers serbes, mais l’autopsie parle de strangulation. L’affaire s’épaissit lorsque l’on s’intéresse au reste du groupe armé et notamment au leader Eduardo Rozsa Flores, journaliste devenu commandant militaire qui aurait eu des liens avec l’Opus Dei. En 2002, il tombe sous les balles des forces boliviennes : selon les autorités, il préparait un attentat contre le président Evo Morales.

LFA

Anja Kofmel nous a notamment expliqué que l’animation lui semblait être une bonne approche pour un sujet dans lequel les informations sont incertaines. Si mettre en place la production n’a pas posé problème, a-t-elle expliqué, il en a été autrement du financement : entre le sujet assez particulier et le fait qu’il s’agissait de sa première réalisation, elle a fait face à différents freins.
Sa jeunesse a sans doute été une difficulté : l’équipe, composée d’hommes, était plus âgée qu’elle. Paradoxalement, être une femme a été un atout face aux mercenaires qu’elle a interviewés : ils étaient à la fiers et honteux de lui raconter leur passé, et lui ont sans doute plus facilement confié certains détails.

Enfin, Anja Kofmel a évoqué la réception de son film, dont le sujet reste tabou. En Croatie, le nouveau gouvernement arrivé au pouvoir durant la production a pris à partie le projet, le présentant comme un exemple de ce dont on ne doit pas parler. Anja Kofmel a été victime d’une campagne de haine dans certains journaux, qui l’ont taxée de « salope serbe ». Le passage du projet à Cannes a toutefois aidé à améliorer la situation, même si des tensions restent présentes.

Sara Abergel
A gauche, Sara Abergel

Place ensuite à Sara Abergel et Noy Friman, deux des réalisatrices du court-métrage Haya Shave Kol Shekel (Worth Every Penny en anglais).
Elles nous ont expliqué que leur école (Spir College – School of Audio & Visual Arts, en Israël) choisit chaque année un thème pour un projet de groupe (10 étudiantes et étudiants ayant réalisé celui-ci). Ici, c’est une fois encore un sujet difficile qui a été retenu : la prostitution, et plus particulièrement les commentaires souvent atroces déposés sur des forums, au sujet des femmes prostituées et par les clients. L’objectif était notamment de sensibiliser l’opinion publique.

Worth Every Penny
Haya Shave Kol Shekel

Sur le plan artistique, le projet est composé de différentes séquences qui enchaînent les styles  : animation 2D, cut-outs ou encore pixilation. Des choix liés aux spécialités de l’équipe, mais aussi à des raisons artistiques : l’animation 2D pour une portion abstraite, la stop-motion plus réaliste pour une séquence plus proche du réel, etc.
Sara Abergel et Noy Friman ont expliqué qu’une partie du court s’appuie sur une chanson en rap, un choix surprenant qu’elles expliquent par une volonté de faire réfléchir sans sombrer dans adopter une approche dramatique et moralisatrice. Sara Abergel et Noy Friman ont ajouté que leur but avait été de trouver un angle différent sans pour autant manquer de respect aux personnes prostituées ; une approche qui permet d’impliquer le spectateur avec une chanson qui semble joyeuse… Avant qu’il ne comprenne le véritable sujet.

Noy Friman
Au centre, Noy Friman

Le projet semble avoir eu un impact non négligeable, localement et à l’international : Sara Abergel et Noy Friman ont précisé qu’un débat avait été lancé pour supprimer un gros forum sur lequel sont postés les commentaires évoqués dans le film. Même si, concèdent-elles, il sera sans doute remplacé par un autre.

Martina Scarpelli
A gauche, Martina Scarpelli

Martina Scarpelli nous a ensuite parlé de son court-métrage Egg. Ce documentaire animé de 11 minutes évoque l’anorexie au travers du ressenti d’une jeune femme.
Le projet avait été écrit en 2012, lors d’un exercice en école ; lorsque l’enseignant avait demandé aux élèves de lire leurs scénarios, elle avait constaté avoir été la seule à ne pas avoir choisi un sujet positif. Après avoir laissé le concept en attente pendant plusieurs années sans y toucher, Martina Scarpelli a donc concrétisé ce court-métrage qui s’appuie sur son expérience personnelle. Produit au Danemark où elle vit actuellement, le film a été développé en résidence chez The Animation Workshop.
Martina Scarpelli ne compte évidemment pas s’arrêter en si bon chemin : actuellement freelance, elle a en tête un projet de court musical, et travaille également sur le design d’un jeu centré sur les troubles alimentaires.

EGG Trailer from martina on Vimeo.

Shelby Hadden
Shelby Hadden

L’intervenante suivante était Shelby Hadden, qui présentait à Annecy son court-métrage Tightly Wound. Réalisé en animation 2D, le projet est là encore centré sur un sujet personnel : l’expérience de Shelby Hadden avec le vaginisme, un trouble médical lié à des contractions involontaires des muscles du plancher pelvien. Les conséquences sont nombreuses et peuvent notamment être handicapantes lors de relations intimes, puisque le vaginisme est souvent associé à de violentes douleurs lors d’une pénétration. Ce trouble reste méconnu, malgré une prévalence loin d’être anodine (environ 5 à 10% selon les études).
Le court revient donc sur l’expérience du vaginisme, mais aussi sur les difficultés et conséquences associées : incapacité du corps médical à apporter des réponses satisfaisantes, rejet d’hommes, sentiment de honte, colère, haine.
Shelby Hadden a choisi l’animation pour différentes raisons : ce medium lui semblait plus adapté qu’une approche live-action pour traiter d’un problème dont les causes et conséquences (physiques et psychologiques) sont internes, mais aussi pour évoquer le passé.
Si elle a écrit et réalisé le court, elle n’a pas pour autant travaillé seule : Sebastian Bisbal était en charge de la partie animation. Shelby Hadden a précisé qu’elle le connaissait déjà et avait confiance en ses capacités : elle n’a donc pas cherché d’autres animateurs ou animatrices. Le fait qu’il soit un homme a semble-t-il été un point positif, ses questions aidant à clarifier certains points du projet. Sebastian Bisbal, présent dans l’assistance, a de son côté souligné que sur ce type de sujet, ce sont généralement les problèmes masculins qui sont évoqués.
Shelby Hadden a bien évidemment d’autres projets en tête, dont une suite logique de son court qui évoquerait la façon dont elle a pu surmonter le trouble.
Enfin, elle a indiqué que la réaction des médecins face au film avait été positive : de quoi lui donner une vision plus positive du corps médical qui bien longtemps n’avait pas su l’aider.

Tightly Wound – Trailer from Shelby Hadden on Vimeo.

The Making of Tightly Wound with Results Physiotherapy from Shelby Hadden on Vimeo.

Nina Wolmark
A droite, Nina Wolmark

Dernière femme à intervenir pour cette table ronde, Nina Wolmark est une autrice, scénariste et dialoguiste dont vous connaissez forcément le travail : elle est à l’origine de l’idée originale de la série animée Ulysse 31 dont elle est aussi co-autrice, fut l’autrice et déléguée à la production artistique de la série Les Mondes Engloutis. C’est aussi elle qui a adapté Rahan, fils des âges farouches depuis son matériau d’origine (la bande dessinée de Roger Lécureux et André Chéret).

Nina Wolmark a exprimé son enthousiasme sur certains des films présentés, soulignant par exemple « qu’il était temps » que des films traitent de la sexualité féminine.
Elle est par ailleurs revenue brièvement sur certains de ses propres projets, avec plus ou moins de nostalgie. Avec le recul, elle considère avoir « échoué » à faire de son mieux pour les personnages féminins d’Ulysse 31. Concrètement, donner à Thémis des pouvoirs de télépathie lui semble être un stéréotype classique lorsqu’il s’agit de créer des personnages féminins dotés de capacités. Elle approcherait donc sans doute la série différemment si elle pouvait recommencer son travail d’écriture.

LFA

Sujets difficiles, douloureux, souvent intimes : cette table ronde a été l’occasion d’aborder des thématiques que l’on ne retrouve pas souvent dans le secteur de l’animation. L’association a de plus conservé son parti pris : mettre en avant des créatrices aux parcours et origines variées.
Comme à la fin de chaque petit déjeuner, les intervenantes et le public ont pu conclure l’évènement en échangeant librement : une bonne occasion de revenir sur certains points directement avec les artistes, ou de nouer des contacts.

LFA

LFA

LFA

LFA

Chargement....

A Lire également