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Annecy 2018 : la mystérieuse technique de l’écran d’épingles fait son retour

Etreintes
Etreintes, par Justine Vuylsteker

Si le Festival d’Annecy est l’occasion de découvrir les dernières avancées techniques du secteur de l’animation, les techniques traditionnelles y ont aussi leur place.
L’ONF et le CNC ont ainsi organisé une conférence autour de l’écran d’épingles, technique méconnue tombée un temps en désuétude, mais qui faisait ici son retour sur le devant de la scène.

Annecy 2018
De gauche à droite : La réalisatrice Florence Miailhe, Philippe Germain de CICLIC, Sophie Le Tétour/Jean-Baptiste Garnero du CNC (modération de la table ronde), Rafael Soatto (producteur) et enfin la réalisatrice Justine Vuylsteker.
A noter tout à gauche : un écran d’épingles de 1937.

Ecran d’épingles : fonctionnement et origines

Qu’est-ce que l’écran d’épingles ? Il s’agit d’un système inventé en 1932 par Alexandre Alexeïeff (1901-1982) et Claire Parker (1906-1981). Le couple, fasciné par les techniques de gravure, souhaitait créer des animations ayant un rendu similaire. Le principe de base de leur solution est particulièrement simple : une surface blanche sur laquelle des milliers d’épingles sont plantées de façon régulière. Une source d’éclairage oblique, et le mirage s’opère : les épingles génèrent des ombres plus ou moins importantes selon qu’on les enfonce totalement ou partiellement. Le résultat est une image légèrement bruitée, avec une trame qui n’est pas sans évoquer les pixels chers aux infographistes.

Ci-dessous : détail de l’image ci-dessus. L’aspect granuleux est bien visible.
Ecran

Alexeïeff - Parker
Alexandre Alexeïeff et Claire Parker

L’animation proprement dite se fait comme en stop-motion classique : l’artiste « dessine » une image sur l’écran d’épingles, prend un cliché, modifie l’image, en prend un autre. Le travail sur les épingles se fait avec toutes sortes d’instruments : rouleaux, objets divers tels que des ampoules en verre, pochoirs qui permettent de créer textures, dégradés, formes.


Une Nuit sur le Mont Chauve, une des oeuvres issues des travaux d’Alexeïeff/Parker.

Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) a pu acquérir un fonds conséquent en lien avec les travaux d’Alexandre Alexeïeff et Claire Parker, avec plus de 19 000 documents, écrans, outils et films. Une collection que l’institution a souhaité valoriser de différentes manières :
– Des expositions, notamment à Annecy et dans la manufacture d’où provenaient les épingles du couple. Un livre a été édité à partir de ces expositions : Alexeïeff / Parker, Montreurs d’ombres, disponible pour 30 euros.
– un travail de restauration des écrans (le CNC en possède 7) à partir de 2008.

2012 : un projet pour relancer la technique

En 2012, le CNC rachète L’Epinette, un écran d’épingles construit en 1977 par le duo Alexeïeff/Parker. Il sera restauré par la réalisatrice Michèle Lemieux, qui donnera également des indications sur comment assurer la conservation de cette machine dotée de pas moins de 277 000 épingles (!).
Ensuite, tout s’accélère : le CNC souhaite activement relancer la technique et lance un appel à artistes pour mettre en place des essais lors d’ateliers de formation en. Huits CVs seulement seront retenus : un nombre limité à la fois pour préserver l’écran, fragile, mais aussi en raison de critères artistiques assez stricts.
Ces ateliers étant très courts, ils ont débouché sur un système de résidence (4 semaines en 2015), et enfin sur des projets concrets de courts-métrages.

Etreintes

Etreintes, par Justine Vuylsteker

C’est dans ce cadre que la réalisatrice Justine Vuylsteker dévoilait durant le festival son film Etreintes, coproduit par Offshore et l’ONF. Entièrement été réalisé sur L’Epinette, c’est le premier court-métrage issu de cette démarche de renouveau.

Etreintes met en scène une femme face à une fenêtre ouverte. Les souvenirs remontent tandis que les nuages s’animent et forme une étreinte passionnée…
Vous pouvez en découvrir ci-dessous la bande-annonce ; les images de l’article proviennent également du court.

Étreintes / Embraced (Clip) from NFB/marketing on Vimeo.

Justine Wuylsteker
Justine Vuylsteker au Festival d’Annecy 2018.

Justine Vuylsteker a profité de la conférence pour évoquer son parcours, sa découverte des écrans d’épingles à l’occasion d’une exposition, la manière dont elle est tombée amoureuse de l’outil lors de la résidence d’un mois. Elle précise que l’écran d’épingles apporte une intimité lié au travail en solo, ainsi qu’un rapport à l’outil bien particulier.
Elle nous a aussi parlé des contraintes : par exemple, elle avait négligé la difficulté de tracer des lignes droites et a eu l’idée d’utiliser des rideaux dont les formes courbes sont plus pratiques à mettre en oeuvre que la fenêtre classique qu’elle avait en tête.

Etreintes

Rafaël Andrea Soatto, le producteur, nous a indiqué qu’il n’avait jamais travaillé sur de l’animation. Un point positif, a expliqué Justine Vuylsteker : ce manque d’expérience a permis d’aller au-delà des méthodes classiques, de déconstruire l’utilisation de procédés comme le storyboard. Elle a pu bénéficier d’une plus grande liberté et improviser certains éléments, comme l’utilisation de pluie et brume (visibles dans la bande-annonce). Elle a aussi pu tourner des passages en vidéo pour s’en servir de références (par exemple pour les mouvements de main).
Elle a cependant avoué  que la fin du projet a été épuisante.

La réalisation s’est déroulée en 2017 chez CICLIC Animation (Vendôme), avant une prise de relais par l’ONF (Office National du Film, au Canada) qui a assuré la post-production : les équipes de l’institution disposent des compétences nécessaires pour gérer le rendu des écrans d’épingles sans pour autant écraser leurs détails, leur texture.

Etreintes

Quel avenir ?

Le CNC espère pouvoir présenter d’autres projets dans les années à venir, même si les contraintes matérielles font qu’il ne faut évidemment pas s’attendre à voir arriver une production massive.
D’autres résidences seront organisées, mais il faudra attendre que la première « promotion » puisse finaliser les projets actuels de films : cela n’aura donc pas lieu avant plusieurs années.

Il existe toutefois un moyen de ne pas attendre : Alexandre Noyer (récemment interviewé par Focus On Animation) propose depuis plusieurs années des écrans à la location ou à la vente. Si ses écrans ne sont pas aussi fournis en épingles que celui de L’Epinette du CNC (100 000 maximum contre 277 000), ils ont l’avantage d’être disponibles dès à présent. Notez également qu’Alexandre Noyer propose régulièrement des démonstrations de l’écran, annoncées sur sa page Facebook : vous pourrez même vous essayer directement à la technique.

En ce qui nous concerne, nous attendons avec impatience de voir la suite des expérimentations autour de cette technique sous-exploitée. La volonté d’expérimentation de Justine Vuylsteker et d’autres artistes nous a fait imaginer des essais en tous genres : on peut ainsi envisager un travail avec un éclairage mobile et non fixe, de multiples sources colorées créant des ombres se mêlant les unes aux autres, et pourquoi des essais sur le relief puisque l’écran d’épingles est par définition non plat.
Rendez-vous dans quelques mois et années, donc, pour d’autres projets sur ces écrans méconnus.

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