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Mission ScanPyramids : les outils 3D utilisés pour percer les secrets du passé

En 2015 était lancée la mission ScanPyramids, conçue et coordonnée par la Faculté des Ingénieurs de l’Université du Caire et  l’Institut français HIP (Heritage, Innovation, Preservation). Son objectif : utiliser des techniques innovantes, dont des outils 3D, pour sonder les pyramides d’Egypte de façon non destructive.
Fin 2017, une découverte majeure faisait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature : l’équipe de la mission annonçait avoir découvert un vide de taille importante et jusqu’ici inconnu au coeur de la Pyramide de Khéops.

Benoit Marini, membre de la mission et spécialiste des technologies 3D interactives, a accepté de revenir pour nous sur ScanPyramids. Il a bien voulu nous présenter le fonctionnement des outils techniques utilisés, comme la photogrammétrie. Il revient aussi en détails sur un simulateur créé sous Unity qui a permis de valider la technique novatrice du scan par muons.

Enfin, il fait le bilan des découvertes de la mission et des prochaines étapes prévues.

3DVF : Pour commencer, peux-tu nous présenter ton parcours ?

Benoit Marini : J’ai toujours été attiré par la 3D : je me souviens que très jeune je regardais mon frère coder une tour Eiffel en 3D sur Apple II. Quelques années plus tard, les images de synthèses d’Imagina me fascinaient.  J’ai à l’époque hésité à me diriger vers une formation artistique pour finalement m’orienter vers une prépa scientifique et intégrer les Arts et Métiers. Je suis donc ingénieur de formation mais j’ai toujours cultivé mes connaissances sur la création d’image, les algorithmes associés et particulièrement la génération procédurale, à travers de nombreux projets personnels.

J’ai pu concilier ces différentes facettes avec ma vie professionnelle en rejoignant Dassault Systèmes en 1999. J’y ai dirigé un laboratoire d’innovation autour des technologies 3D, avec notamment de la VR et de l’AR, en produisant des expériences et des installations interactives à destination du grand public.

Passionné par les sciences, les arts et les nouvelles technologies, je cherche à combiner ces différents ingrédients pour inventer de nouveaux concepts et faire évoluer les usages. Je travaille maintenant en tant que consultant en innovation et creative technologist dans ma propre structure, Whatever The Reality, au service des entreprises et institutions qui ont besoin d’une expertise dans ces domaines. J’apprécie en particulier quand il y a un challenge technique à relever.

3DVF : Avec de nombreux acteurs internationaux, tu as participé à la mission ScanPyramids, qui a annoncé en novembre 2017 dans une publication Nature la découverte d’un important vide dans la pyramide de Kheops.
Pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas déjà le projet, quels étaient les objectifs principaux de cette mission ?

La mission ScanPyramids, co-dirigée par l’université du Caire et l‘institut HIP, a pour but de rechercher des vides structurels inconnus dans les pyramides égyptiennes avec des moyens d’analyse non destructifs, c’est-à-dire préservant l’intégrité des monuments.
Les 3 technologies employées pour l’instant sont l’analyse thermique, la muographie et le scan 3D.
Au-delà de la recherche de vides, l’idée est de mieux connaître les structures internes des pyramides. Leurs constructions restent, à l’heure actuelle, encore un mystère.
Nous avons essentiellement travaillé sur 2 pyramides : d’abord la rhomboïdale, située à Dahshur, afin de démontrer que la technique de muographie fonctionnait, puis la pyramide de Khéops.

ScanPyramids
Crédit : : Philippe Bourseiller / Institut HIP

3DVF : Peux-tu également résumer brièvement la technique du scan par muons, qui n’est pas sans rappeler une prise de vue photo ou un rendu 3D avec ses échantillons, mais en beaucoup plus lent ?

La technique de scan par muons, ou muographie, est similaire à une radiographie. Quand nous passons une radio, des rayons X nous traversent et sont recueillis par un capteur. L’image obtenue nous renseigne sur les organes qui ont absorbés ces rayons X.

En muographie nous utilisons des particules élémentaires appelées muons qui se déversent naturellement à la surface du globe. Ces particules sont comme des électrons, mais 200 fois plus massifs. Leur grande énergie leur permet de traverser les roches sur quelques centaines de mètres.
Trois équipes, deux japonaises et une française, ont observé comment les muons traversent la pyramide en utilisant indépendamment 3 technologies différentes de capteurs et en positionnant ces derniers à l’intérieur et à l’extérieur de la pyramide. Cela permet de cartographier la pyramide et de révéler les structures déjà connues, mais aussi de nouvelles.

Vidéo ci-dessous : visualisation des muons arrivant à la surface de la planète et pénétrant dans la pyramide.

capteurs
Les 3 types de capteurs sensibles aux muons et quelques placements associés.
Crédit: Philippe Bourseiller / Institut HIP / Benoit Marini

3DVF : Comment t’es-tu retrouvé impliqué dans ce projet, et quel était ton rôle dans cette mission ?

J’ai été impliqué dès la conception du projet, avant son lancement en Egypte. Au sein de Dassault Systèmes, j’étais en effet responsable de la rédaction du dossier scientifique décrivant la mission et les techniques envisagées. Ce dossier a ensuite été soumis aux autorités égyptiennes et accepté.
Lorsque le projet a démarré sur le terrain j’ai continué à travailler avec l’institut HIP, chargé de la stratégie et de la coordination de la mission, en tant que conseiller et analyste scientifique. Mon rôle était d’accompagner les missions sur place, d’analyser les résultats intermédiaires et de participer à l’élaboration de nouvelles étapes de la mission, par exemple en essayant d’optimiser les emplacements des capteurs de muons.
Pour nos séances d’analyse, le besoin d’un outil de simulation temps réel s’est fait sentir, je l’ai développé au fur et à mesure de la mission. J’ai aussi travaillé avec la société Emissive, notamment sur la partie modélisation 3D en leur fournissant les relevés de photogrammétrie réalisés sur place : un modèle 3D précis était indispensable pour le simulateur. Emissive a également créé toutes les séquences 3D qui illustrent le documentaire autour de la mission.

3DVF : Une des tâches fastidieuses sur la mission a été le scan de zones d’intérêt ; on peut d’ailleurs voir dans la publication un modèle complet de la pyramide avec son apparence externe actuelle, l’entrée et son impressionnant système de décharge, ou encore une modélisation des chambres et couloirs.
Pourquoi avoir opté pour la photogrammétrie plutôt que d’autres approches comme le LIDAR ?

Nous avons en fait croisé plusieurs techniques. La photogrammétrie de la pyramide était prévue plus tardivement dans la mission, avec un processus de numérisation assez long et lourd. Mais très rapidement, nous avons eu le besoin d’avoir des modèles 3D, en particulier pour la simulation de muographie.

Nous avons commencé par de la photogrammétrie car c’est la technique la plus simple à mettre en place, qui nous a permis de relever des zones d’intérêt très rapidement, pour les étudier ensuite hors site et construire un premier modèle 3D. L’équipe des ingénieurs de l’université du Caire et de l’université Aïn El Shams a ensuite fait une campagne d’acquisition à l’aide d’un Lidar qui nous a permis d’améliorer la qualité en fusionnant les modèles.

3DVF : Quelles prises de vue as-tu réalisées, et quelles étaient les contraintes ? On imagine que l’intérieur, exigu et peu éclairé, n’est pas vraiment un sujet idéal… Pour l’extérieur, as-tu travaillé avec des vues aériennes ?

Sur le plateau de Gizeh, la disponibilité des lieux, l’éclairage et la présence du public étaient des contraintes fortes à la réalisation des mesures. Par exemple, nous n’avions que 45 minutes de shooting pour la cavité située derrière l’encoche de l’arête nord/est, à une hauteur d’environ 80 mètres. Non seulement nous avons dû la scanner alors que nous la découvrions pour la première fois, mais une fine poussière gênait également pour la prise de vue et la luminosité n’était pas idéale. Il a fallu faire un compromis sur les réglages de la sensibilité du reflex. Ce relevé s’est fait sans pied, à iso 1200, à environ 1/100s, à f7.
Pour le scan de la chambre de la Reine, je ne disposais que d’une heure ; il a donc fallu prendre un maximum de photos très rapidement pour s’assurer d’un bon recouvrement. Je disposais d’un panneau d’éclairage LED avec un IRC de 98 que j’ai utilisé en lumière indirecte.
Heureusement la roche se prête très bien à la photogrammétrie : c’est un sujet immobile, la matière a très peu de reflets spéculaires et présente beaucoup de points d’accroche pour le logiciel lors de la reconstruction. Le seul endroit où il y avait des reflets spéculaires est la chambre du Roi en granite poli, il fallait donc éviter les prises de vue tangentielles et plutôt bien rester face aux murs.
Nous n’avons pas fait de campagne d’acquisition aérienne mais avons pu travailler avec des images tournées par un drone, destinées au film documentaire, pour en extraire des zones d’intérêt.

Pyramide
Ci-dessus : plan en coupe de la pyramide de Khéops. Zones notables :
1 entrée d’origine, qui correspond à la zone des chevrons (blocs de pierre massifs disposés de façon oblique pour répartir la charge) ;
2 percée d’Al-Mamoun, entrée actuelle des visiteurs ;
5 chambre souterraine inachevée ;
7 chambre dite de la reine ;
9 : grande galerie ;
10 : chambre du roi ;
7′, 10′ : conduits de ventilation ;
Crédit : image du domaine public issue des ressources Wikimedia
ScanPyramids
Exemple de résultat de photogrammétrie sur la zone des chevrons

3DVF : Quel a été ton workflow pour traiter ces données et en tirer un modèle optimisé complet ?

Avec Emissive nous avons utilisé Photoscan et Reality Capture.
Reality Capture semblait prometteur par rapport au nombre de photos qu’il est capable de traiter dans un temps raisonnable. Cependant il a été difficile d’en tirer des modèles exploitables : il ne permettait pas de vérifier le maillage mais juste d’afficher un nuage de point et les reconstructions présentaient de la dérive (zone plate qui est reconstruite de manière courbée).

Photoscan n’est pas aussi rapide dans la phase d‘alignement et est plutôt gourmand en mémoire mais les résultats étaient très fidèles à la réalité. Il a fallu diviser les données en groupes d’environ 200 photos, puis réaligner ensuite les reconstructions.
Les modèles ont été ensuite uniformisés et optimisés par Emissive pour n’en faire qu’un.

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